Croisière Slurp !


Ce texte est en réponse au verdict de cette nuit sur les tournantes. 4 condamnations mineures et 10 acquittements. Autant dire, l’absolution.

 

 

Ils sont partis cent. Cent gamins des cités désargentées de Blue Sky, qui n’a de bleu, que le nom. Les services sociaux les ont soigneusement choisis, au grand dam des familles ulcérées. Les dés du grand jeu sont toujours pipés, mais là, ils avaient abusé. J’avais accompagné les gagnants de la loterie au point ZLOC, Zone de Localisation des Oubliés de la Cité. Ils avaient gagné un grand voyage. Le premier voyage interstellaire à bord de la fusée SLURP. Une petite merveille de technologie offerte par Mac Beurk en hommage à ces jeunes désœuvrés qui luttaient pour s’en sortir. Un vol initiatique avec un séjour à Blue Lagon, la base balnéaire sidérale de Mac Beurk.
Je savais bien, moi, qu’ils s’en fichaient bien de s’en sortir ! Des loups, des violeurs, des assassins de grand-mères qui vivaient impunément aux dépens de tous !
— Quoi ? Ils ont sélectionné la vermine, tous les loosers, tous les bandits du quartier ! Vitupérait la concierge du Z230, dépitée.
Les autres gosses, ceux qui restaient, ont serré les poings, mais ils n’ont pas bronché. Un mot de trop et la lame d’un rasoir leur trancherait la gorge. La municipalité, conciliante, leur a offert une semaine au bord de la mer, à Neuville les Flots, dans la Manche brumeuse. Piètre consolation…
Les cent voyous se sont chamaillés pour entrer dans la fusée. Le premier voyage interstellaire est pour eux ! À leur retour, le quartier sera à leurs pieds…
Ils se sont installés, bien rangés comme des sardines dans cette méga boîte de conserve. Les propulseurs enclenchés, ils se sont vomis dessus, enfin, les uns sur les autres, en bons dégueulasses.
La Terre s’est éloignée avant même qu’ils ne regardent par les hublots maculés de ketchup et de frites de chez Mac-Beurk. Le noir s’est installé dehors, dans cette nuit intersidérale. L’hôtesse du bord est arrivée, petite malingre sèche pas très jolie. Les quolibets ont fusé immédiatement.
— Ils ont embauché un squelette ! Eh ! squelette, dis nous qui t’a sucé le sang pour être si moche !
— T’as perdu la langue ?
— Eh ! T’ as perdu tes ch’veux ? Balayette d’escalier à ratiches ! Même pas la peine d’y toucher, la morue est desséchée…
La grossièreté des loosers n’a pas ému la demoiselle. Imperturbable, elle a distribué des linges humides, doux et chauds, pour nettoyer les vomissures abjectes des adolescents pubères. Ils l’ont prise en photo de leur portable, pour la montrer aux copains en rentrant. Ils ont accumulé grossièreté sur grossièreté salace avant de sombrer dans un profond sommeil.
La fusée intersidérale n’a pas pour autant arrêté sa course. Le voyage doit durer une semaine. Deux nuits avant atterrir sur Blue Lagon, deux pour revenir, ils ne passeraient que trois jours sur la petite planète balnéaire. La nuit a duré deux nuits. Les linges étaient imbibés de somnorol, une drogue douce, habituellement… Leur sommeil a été entrecoupé de cauchemars étranges et de hurlements d’enfants égarés. La fusée n’a pas pour autant arrêté sa course. Le troisième jour s’est levé sur les écrans de leur vie.
Les cent se sont réveillés au matin du troisième jour, endoloris et courbaturés, pour certains, épuisés. Surpris et anxieux soudain, ils ont réalisé qu’ils n’étaient plus dans la même cabine. Ils ont été amenés dans un tube blanc, éblouissant. Sans doute, cette drôle de lumière phosphorée qui irradie sur les parois coniques ? Plus de sièges, mais des nids. Des nids en alvéoles, moulés dans la coque. Leurs vêtements ont été enlevés. Des pansements sont collés sur leur peau, ça colle un peu, sucré, mais ils ne portent pas de traces de blessures. On les a laissés nus dans la moiteur sans hublot de l’habitacle… fermé ? Pas de porte, nulle ouverture, ils sont prisonniers !
Les rêves nocturnes ont refait surface et les frimeurs ont peur. Une musique et une voix off ont tôt fait de les rasséréner.
— Nous atterrirons sur Blue Lagon dans deux heures. Vous avez dormi durant vingt et une heures. Le petit déjeuner vous sera apporté dans quelques minutes. Ensuite, vous revêtirez vos tenues neuves pour l’abordage.
Les gamins ont oublié leur affligeante nudité devant le pantagruélique petit déjeuner. Ils ont bu sans broncher le jus d’orange au goût métallique des gobelets. Ils ont avalé les pains au chocolat cartonnés et les fruits mous ; les Chamallows en plastique et les sandwichs gorgés de mayonnaise saumâtre. Ils ont fait leurs besoins dans l’unique cuvette commune, le derrière lavé par les jets à rouleaux.
La jeune fille sèche est venue leur apporter des chaussons de corde et leur paquetage. Ils ont bien ri quand ils ont enfilé leurs tenues moulantes et bigarrées. De drôles de tenues, pourvues de tuyaux en caoutchouc. Elle, elle a subi de nouvelles bordées d’injures avec un sourire figé. Ils ont enfilé leur appendice masculin dans le tuyau correspondant, sans se demander à quel usage seraient destinés les autres. Ils ont paradé, outranciers, dans cette parade nuptiale de l’oiseau en rut, orange et bleu, cancres rutilants.
La décélération brutale les a couchés dans leur nid, hébétés.
— Blue Lagon, Blue Lagon ! Vous avez atteint votre destination finale. Nous allons faire le plein de glucocon. Préparez-vous à l’abordage.
— L’abordage ? On ne dit pas atterrissage ? Questionne un des plus finauds.
Quatre-vingt-dix-neuf rires sarcastiques lui répondent. Surgies de nulle part, des mains les sanglent, sorties du néant. Blanches et plastiquées, moulées comme si elles appartenaient à la coque du vaisseau, elles se referment autour de leur taille, solidement imbriquées.
— Marrant ! Hé, les mecs ! Vous avez vu ça ?
— Ouais ! C’est louche quand même… La voix tremble un peu. Toujours le même qui se pose des questions.
La fusée se pose dans un vacarme assourdissant. Les cent n’ont rien vu, mais ils ont entendu les rétrofusées latérales freiner la course de la fusée. Les vérins chassent l’air pour ouvrir les portes. La capsule ovoïdoconique se détache, propulsée au sol. Elle roule sur elle-même et se stabilise sur son lest. Les garçons ont été protégés par d’autres mains, plus chatouilleuses, venues leur arrimer la tête.
La jeune fille sèche s’est détachée dans l’ouverture du tube, avec son sourire énigmatique figé. La voix off diffuse encore des informations.
— Blue Lagon, Blue Lagon ! Préparez-vous à l’abordage…
— Cause toujours ! Et si on nous laissait descendre ? Quand je vais t’aborder, tu vas comprendre ce que ça veut dire !
Les rires se sont faits pâles. Les mains blanches n’ont pas desserré leur pression, soudées autour de leur corps. Les voyous de quartier n’en mènent pas large. Un crissement. La capsule s’est ouverte comme une boite de conserve. Le couvercle s’enroule en frisant comme une anglaise.
Ravis, les hâbleurs ont poussé force cris et onomatopées censés exprimer leur satisfaction. La morue sèche sourit toujours, fermement campée sur ses jambes grêles.
Blue Lagon, Blue Lagon ! Préparez-vous à l’abordage…
Des cris ! Les mains ont enserré les membres des cent de Blue Sky. Ficelés, saucissonnés, ils ont crié, de rage et d’impuissance.
Une volée de cordages s’est abattue sur eux, leur cinglant la peau.
— À l’abordage !
Les hurlements des filles plates ont stridulé l’espace. Comme des hyènes, elles se sont jetées sur les nids garnis de jeunes hommes vêtus d’orange et bleu. Les blanches mains moulées se sont agitées, fébriles. Elles se sont saisies des tuyaux jugés inutiles par les gamins insoucieux.  Elles les ont connectés à tous leurs orifices disponibles. Oreilles, nez, bouche ont été ventousés impitoyablement. Les yeux désespérés n'ont pu que rouler et saisir l’horreur. Ils n’ont rien pu dire, leurs mots étaient avalés dans l’insondable espace coloré qui les envahissait, sirupeux.
Sirop ? C’est le mot qui leur est venu à l’esprit. Un sirop qui a englué leurs neurones, qui a dissout leur essence vitale. Ils ont perçu la mort dans cette déroute collante, mais leur corps ne disait pas de souffrance ?
Les plus proches de l’entrée ont vu arriver ce camion chargé de bonbonnes de mayonnaise Mac-Beurk. Ils ont cru à une blague. Enfin, ils l’espéraient…
Les filles plates ont attrapé le tuyau de leur zigouigoui. Elles ont déroulé au-dessus de leurs têtes des turbines munies de multiples flexibles à ventouses. Elles les ont connectées à leur sexe, slurp !
— Abordage réussi. Le plein de glucocon peut commencer !
La voix off est onctueuse, onctueuse comme le fluide qui s’écoule dans la trayeuse reliée aux bidons de mayonnaise Mac Beurk. Le fluide vital des cent a été homogénéisé, hydrogéné par les orifices supérieurs, et enfin, extirpé par le corps pénien. Les frimeurs sont fripés comme des loques. Vivants et plats, secs et ridés.
Le plein est terminé. Les mains ont relâché leur prise sur des corps en apparence exsangues. Les ventouses ont fait pscht avant de se désolidariser des orifices vitaux. L’opération n’a duré que quelques minutes.
— Eh, squelette, dis-nous qui t’a sucé le sang pour être si moche ! L’hôtesse sèche les nargue. Elle a attrapé un gobelet Mac-Beurk qu’elle pompe consciencieusement. Les harpies qui les ont abordées ont fait de même. Toutes sucent leur paille avec avidité. Les cent ont eu le temps de voir leur morne chair se densifier, leurs lèvres se pulper, leurs formes devenir harmonieuses. Ils ont exhalé leur dernier soupir devant des Bimbo de rêve. J’ai tout suivi, du micro transmetteur intersidéral que l’un d’eux m’avait dérobé. Il se l’était injecté dans les orbites. 
Le micro nasille un peu, la distance… Blue Lagon, Blue Lagon ! Votre croisière SLURP peut commencer !

 

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