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La princesse qui ne pétait point – à la ligne

Conte pour les grands

 

Il était une fois, un pet qui ne savait où nicher. La pie niche haut, l’oie niche bas et le pet, lui, il niche où ? Il s’avisa de trouver derrière en la personne d’une princesse, fort heureux de lotir une personne bien née.

 

La demoiselle était coquette et élégante. Sa taille était aussi si fine que le logis était petit, mais le pet voyageur avait des ambitions plus hautes que le cul du receveur – des postes, qu’accessoirement, il avait visité.

 

L’exigu trou du cul aménagé, il ne lui restait plus qu’à péter ! C’est ici que se gâte l’histoire...

Une fille, déjà... mais une princesse ! Ça ne sait pas péter !

 

L’œillet était tant bridé, qu’il ne pouvait s’échapper. Pas question de finir à la chasse lors des rares délestages, non ! Le pet voulait exulter, ronflant et sonore, odorant à souhait ! Mal lui en a pris. Le ventre elle se serra si fort, qu’il s’en déballonna et, par un beau matin se trouva aussi mince qu’un pet de loriot, toutefois — dans un champ d’artichaut. Il en fut bien marri et tenta une sortie, mais ses forces, amoindries, ne surent venir à bout de l’obstinée pince-fesse au trou du cul bouché.


L’obturée du siphon avait fort à faire avec cet hôte turbulent.

 

— Comment ! Ventre qui grogne n’amasse pas homme ! Fi !

 

Et elle prenait tisanes et lavements, repoussant asperges et topinambours et se nourrissant chichement – sans pois chiches, évidemment.

 

— Diantre ! gémissait le précieux, amaigri. Je suis un prout-prout, certes, et n’en suis pas heureux !

 

Ce logement de prix ne vaut pas un pet de chameau – il me faut déménager et quérir derrière plus achalandé ! Ce faisant, il se reprend de courage, rassemble ses dernières forces et attend, las, dans son sombre couloir, lové contre un polype en barrière aux coliques.

 

C’est par une soirée claire qui sent venir l’hiver que la princesse, soulagée du silence de son ventre, reçoit pour une party une fine assemblée. La musique joue ses arpèges et les flûtes – sans paon et au pan du bouchon — ruissellent de bulles dorées. Les messieurs s’activent et œuvrent de concert.

 


— Enfin ! s’exclame le péteux. Le moment serait venu ?

 

Derechef il déhotte et sans balluchon se hâte vers la lumière diffuse qui sourd par l’œilleton allumé. Guilleret, il se presse, avant l’heure d’extinction des lampions. Il serait affligeant que, d’aventure, quelque lampiste passe éteindre le troufignon !

 

Las ! Voici que soudain, par quel coup de reins ? il est projeté, malmené comme un ballon en sourd-muet par un coup de butoir qui revient en encensoir. On s’active, là, dehors, à ramoner le noircicaud, boutant vers l’estomac le pauvre pet, penaud. La prise est rude et, l’affolement passé, il faut aviser. Les clapets de la belle en sont tout désorientés et jabotent en hoquet, sonnent furieusement au nez du gazeux comprimé.

 

Las ! Voici que, soudain, dans terrible cri qui rugit en tremblements féroces, le malotrou pilonne et jouit, expulsant dans le flot, d’une poussée virile, le pet qui choit dans le ruisseau. Il ne doit son salut qu’à un bond désespéré et s’enfile, tel un bolide, par les clapets qui en furent – on en parle encore – fort désorientés.


Le voici qui déboule à l’air libre et frais comme un gardon par la bouche ulcérée de la princesse débouchonnée. Il s’avère qu’alors, la devancière s’activait, en âme bien née, à gloutonner le derrière de l’un de ses invités. Un arrière-train princier — gros comme un cabinet, doté d’un respectable porche et d’une arrière-salle bien chauffée !

 

Le pet illico s’y jette, prestissimo, car mieux vaut être guette au trou, lors que l’on est expulsé.

Ce derrière, semble-t-il, est un fion très prisé, et s’y joue, comme dehors, une party délicieuse...

Notre précieux s’esbaudit, s’enlace et se délasse, se frottant dans l’oignon à la fine fleur des rosettes en goguette. De pet en pet il gonfle, prétextant avec aménité, avoir été privé. Gavé, dorloté, il s’apprête et, entrouvrant le fignard avant d’exulter, jette ce dernier cri : — Attention ! Ça va péter !

 

Convenez que ce pet était fort poli d’alerter sa princesse, afin qu’elle le comprît. Sans plus attendre il se rue, gonflé comme une autruche – qui vaut bien une baudruche, ne nous y trompons pas — il se rue donc, vous dis-je, dans le goulet soyeux, par ailleurs à l’affaire, préparé du titillement ardent de la langue rosée de sa bien-aimée désertée.


Il roule, boulet de canon en un son caverneux, d’une fumure foireuse, sans retenue aucune, libre et joyeux, d’une salve éclatante en rodomontade et, sur les balloches en ballant rebondit au nez de la décontenancée, passablement outrée !

 

Son fumet, tant contrit, s’en trouve décuplé et il règne, roi du pet, sur la partie fine fort étonnée de ce pet de nez. Cette sortie, tonitruante s’il en est, est magistralement saluée d’une cascade de rires et d’applaudissements, la stupeur passée.

 

Le pet, enfin libre, se dilue en mille bulles gazeuses et se fourre partout, montant aux blanches colonnes vers ces foirons accueillants, se jurant, finement, d’éviter d’investir fondement trop princier tant qu’il n’est pas pourvu d’un chibre rassurant et de balèzes roupettes en tremplin bienfaisant.

 

C’est ainsi que ne pètent plus les princesses et qu’elles doivent, sans moufter, concéder quelque part que les hommes, pour leur plaire, pètent plus haut qu’elles n’ont le derrière.

 

 

Eve Zibelyne, 24 août 2014

Souris, sot !

L’aube se lève, plombée par un soleil de feu.

40° sous l’abri de fortune. La journée sera torride. Le vent a rasé la nuit. Un vent sec, au souffle glacé qui a enduit de poussière la pierre du toit. Elle déblaie la couche ocre qui obstrue les ouvertures. Ce fichu sable s’infiltre partout, le déjeuner sera dur à préparer aujourd’hui. Dans leur couche, les petits piaulent de faim.

Elle s’active, gratte, déplace les pierres accumulées par la tempête de sable.

La voie semble libre. Elle sort, respire pour se débarrasser de ce rouge qui lui obstrue les narines. Elle n’aurait pas du. Une goulée de feu lui fait exploser les poumons et la laisse pantelante, l’esprit égaré.

Le soleil cuit la pierre et la réverbération aveuglante la fait cligner de l’œil.

Doucement, elle reprend ses esprits. La marmaille attend. Elle jette un regard inquiet à la maisonnée, et tel un faucon, étend les yeux tout autour de l’abri.

Tout est calme, silencieux. Seul un insecte corné s’escrime à rouler une graine desséchée.

Elle secoue la tête. Pauvre bête qui se fatigue pour rien. Cette graine est vide, vide comme l’étendue immense qui surplombe le malheureux.

Aride, magma de cailloux indifférents qui se dorent la face tandis que d’autres triment !

Un frisson lui parcourt la colonne vertébrale.

Elle se met en marche, cahotant sur la pente abrupte. Monter, monter, toujours plus haut, toujours plus loin, monter pour trouver de quoi subsister.

Un jet de poussière devant ses pieds la glace d’effroi. Elle sait ce que cela signifie. Elle recule, se fait toute petite devant les pinces noircicaudes du scorpion.

Le traitre a jailli de son trou, la toisant de son œil torve. Une morsure et c’en est fini à jamais dans cette immensité inhospitalière.

La peur lui a fait franchir la première crête. Une touffe de végétation la salue de ses poils hérissés en balai défraichi. Elle gratte la terre frénétiquement, à la recherche de quelque trouvaille juteuse.

Elle creuse d’arrache-pied, s’ombrant sous le feuillage erratique, bien décidée à déraciner la plante.

Mais la plante tient bon ! C’est à se demander comment ses racines peuvent trouver de la vie dans ce sol caillouteux. Mais c’est là le secret de l’adaptation, et la racine plonge, plonge, au plus profond de la terre.

De ses dents, elle lime la tige, mâchant ce sable qui la fait tousser. Soudain la plante cède sans qu’elle s’y attende. Elle choit dans son élan et roule, roule, roule, jusqu’à son point de départ, dans les cheveux filasse de la plante.

Sonnée, elle voit tanguer le sommet de la montagne qui brûle sous le soleil d’airain. Un insecte caché dans la motte lui tombe dans la bouche. Elle le croque, savoure la chair douceâtre. Requinquée, elle rentre dans l’abri, tirant la pitance de la semaine. Les souriceaux éveillés piaulent et piaulent de joie. C’est l’heure du petit déjeuner !

 

Zibelyne

 

5 avril 2012

Le cochon à béquille

Le cochon à béquille

 

Il était une fois – c’est ainsi que débutent les contes – un cochon fort mignon surnommé Mirliton.

Mirliton le cochon – le saviez-vous ? avait un don !

 

 

Sa naissance, dans un tet[1] de qualité, forçait le respect des gorets de l’année.

Pourtant – Mirliton – dernier-né d’une portée de treize porcelets était, d’une terrible infirmité, affligé.

Que s’était-il passé dans le ventre de sa mère, la truie ? Elle ne le savait, attristée — du moins –, elle n’osait y penser. Lequel des cochonnets, cannibale avéré, avait – in utéro – d’un appétit féroce, boulotté le porcelet ?

 

Mirliton en sortit amoindri d’un jambon et doté d’un moignon, sans ongles ni soies, lisse comme un saucisson ! Sa mère l’éduqua si bien que nul, à la ferme, ne vit avant longtemps la béquille du cochon. Sagement, contre ses frères il prenait sa ration, tétant et grognant à l’unisson, mais jamais ne jouant, cachant son moignon.

Le porcher, un beau jour, se prit de ranger sa maison et, lassé d’entasser des rogatons, déposa dans un coin de la soue bazars et cartons – ainsi qu’un balafon. Intrigué, esseulé, de sa béquille d’os frais il osa, et les lames en tintèrent de joie.

Grisé, le cochon rose, inspiré, en vers – et pas de soie et non plus contre-tout – se mit à chanter, frappant avec maestria l’instrument de bois si long qu’il courait en entrechats, leste — le croiriez-vous — comme un matou, un marabout, ou…, un tatoo ?

 

 

Le lardon, flanqué de son daron, en firent choir les cartons !

 

Les cochons à leur tour s’extasièrent, mais aucun n’avait – jambonnés qu’ils étaient – de don ni de chanson, de vers ni de dévers, si ce n’était du lard, comme tout bon cochon.

 

C’est ainsi qu’à la foire, au cul du camion, se rendirent les treize et, le treizième en vedette, apôtre ou à Pau – de rillettes – en vers de Mirliton, jouait du balafon, saluant d’une chanson l’adieu à ses compagnons, vendus pour des rillons.

 

Eve Zibelyne le 20 mars 2014

 



[1] Patois local, tet – prononcé taie, également prononcé tête

La soupe de loup

Petite moule (Pour les petits)

Le prince qu'on sort

Le requin bas de laine (Pour les petits)

Les poules du Père Noël

La montagne sans nom (lire dans l'onglet Culicoquineries, ce conte est pour plus de 18 ans)

Le chausson meurtrier, 5 volets de contes indépendants.

La famille Souris

Mais qui a volé le réveillon ? Conte de Noël

Les vagissements du crapaud

La soupe de loup

La soupe de loup

 

Il était une fois, trois petits chats noirs qui avaient bien connu les trois petits cochons. Ils entretenaient de bonnes relations de voisinage et vivaient en bonne entente.

 

Les trois petits cochons aimaient bien se faire masser le ventre par les trois petits chats noirs, lorsqu’ils avaient trop mangé. Les petites pattes chatouillaient des coussinets et leurs petites griffes grattaient agréablement leur couenne rose.

Les chats aimaient s’endormir sur ces ventres-coussins bien chauds.

 

Un jour, un loup survint. Le vilain avait dans l’idée de manger un bon rôti de porc…

D’un bond, les chats ont sauté sur le haut du buffet. Le loup soufflait sur la maison de paille de Porky.

 

— Cours, sors par la fenêtre ! ont-ils crié, tandis que les murs s’envolaient.

 

Porky a rejoint la maison de bois de Porridge en toute hâte.

 

— Courez, sortez par la cave ! ont-ils crié tandis que la maison de bois de Porridge s’écroulait.

 

Le loup en restait langue pendante, sans petit cochon à croquer. La maison de brique de Port-Salut avait résisté à son souffle et il s’était abimé les pattes à vouloir la renverser. Vexé, il s’en retourna dans les bois pour préparer sa revanche.

 

Un soir d’été où les cochons festoyaient joyeusement au jardin, le loup s’est alors vengé. Caché dans les cabinets, il a attendu leur retour. Les petits chats noirs étaient sortis sous la lune pour chasser la souris. Le loup a attendu que la porte se ferme. Vorace, il s’est jeté sur les trois petits cochons et les a croqués un à un.

 

— Miam ! Croc ! Slurp !

 

Depuis, le méchant loup habite la maison de briques, tout près de celle des trois petits chats.

Mais, ces trois minous qui n’ont pas perdu leurs mitaines gardent l’œil ouvert jour et nuit, par tous les temps.

 

L’un ne dort que d’un œil.

L’autre les fait clignoter.

Le troisième les plisse de manière à toujours laisser filtrer la lueur verte de son regard perçant.

 

C’est par un soir de grand froid que se trame le complot.

Les trois petits chats noirs ont froid, et faim. Les souris, apeurées par le loup, se font rares. Le loup est gras. Son poil lui tient bien chaud. Il passe ses nuits à digérer son festin, tel un boa repu.

 

Chaton escalade le toit jusqu’à la cheminée.

Chablis s’aplatit pour se glisser dans le soupirail de la cave.

Charrette pousse le vantail de la fenêtre entrouverte.

 

En trois bonds, le loup est déshabillé, ficelé comme un rôti et enfourné dans une grande bassine en fer, tassé comme un jambon.

 

Chaton arrose le loup d’eau et d’épices.

Chablis ajoute les carottes, le maïs et les pommes de terre.

Charrette allume le feu.

 

Les trois petits chats dînent tard. Ils ont invité tous les voisins alentour à partager la bonne soupe de loup qui cuit dans la cheminée. Même les souris osent montrer le bout de leur museau pour grignoter les panouilles de maïs sous la table.

 

Depuis, plus aucun loup ne s’aventure près des maisons. Les trois petits chats noirs sont devenus les amis des enfants. Ils massent les petits bidous quand ils ont trop mangé, en ronronnant, heureux d’aimer ces gentils petits coussins à caresses qui sentent bon le lait au chocolat.

 

Zibelyne le 17 septembre 2013

 

 

Petite moule Illustration Eve Zibelyne
Petite moule Illustration Eve Zibelyne

Petite moule

L’océan fouette la falaise. La tempête gronde. Les naissains de moules serrent fort leurs coquilles qui se ferment. La mer arrache le sable de la plage. Elle le jette avec force sur les rochers.

Petite moule est fâchée. Ce sable lui heurte le dos. Il abîme sa jolie coque bleue !

 

Une vague énorme la fouette.

 

La suite, hé, hé, est sur le livre !

Le Prince qu'on sort

Le Prince qu’on sort : Un conte avec deux fins possibles et ses deux morales. On peut bien sûr en imaginer beaucoup d'autres...

 

Quelle sera votre préférée ?

 

L'idée est venue de cette image partagée par Lalou, merci de m'avoir donné l'inspiration ma Lalou !

 

 

Le prince Vajtenfiche en est tout retourné dans ses chausses.

 

— Comment ? Cette mijaurée de princesse Doretta n’est pas celle qu’il croyait ? C’est trop fort ! Un tel affront lui fait monter le rouge au front.

 

L’histoire a commencé il y a bien longtemps, dans des temps fort anciens où les jeunes filles apprenaient dès l’enfance à attendre sagement leur prince. En ces temps heureux, les hommes batifolaient par monts et par vaux sans se soucier du cœur éploré de ces demoiselles qui se pâmaient d’amour en silence.
Cela ne se faisait guère, pour une fille bien élevée, de manifester quelque intérêt pour un garçon. Et puis, il se disait que, pour être un homme, les jeunes gens devaient courir le jupon afin de savoir comment honorer leur femme. Certaines de ces demoiselles passaient outre et s’égaillaient derrière les bottes de foin, y cueillant parfois quelque marmot qui disparaissait avec l’effrontée le temps de la gestation. La mère en revenait avec le teint rosé des filles qui ont connu l’amour, seule, si le père n’honorait pas son écart, ce qui était souvent le cas.

 

— A-t-on idée, aussi, de se faire mettre le ventre en bonbonnière ! Clamait la revêche faiseuse d’anges qui officiait en certaines circonstances.

 

Les petits anges allaient enrichir la terre derrière le presbytère, et ça allait bien comme ça.
Le monde tournait rond pour les princes charmants et monsieur le curé veillait à ce que personne ne s’inquiète.

 

Mais alors, quand cela a-t-il changé ? Et, pourquoi ? Quelles graines de perfidie ont ainsi pu germer dans le cœur des filles pour les transformer en harpies ?

 

Le prince Vajtenfiche s’en ficherait bien comme d’une guigne de cette péronnelle ! Enfin, presque… Il ne s’en fiche pas du tout ! Il est ulcéré de tant de dédain.

 

— Prends une oie blanche. Disait son père. Une belle, mais pas trop, si tu veux qu’elle te reste fidèle. Mais avant, fais ta vie comme tu l'entends, pendant qu'il est temps !


En fils dévoué, il s’était exécuté. La demoiselle Doretta avait la chair tendre et fraîche et la taille fine. Sa cambrure mettait en valeur une croupe avenante qui augurait d’une largeur propice à la perpétuation de l’espèce. Une pouliche digne de tenir sa maisonnée !

Il avait tout misé sur sa belle, et rien, dans son esprit, ne l’avait préparé à ce naufrage.

Le prince charmant déchante, la rage au cœur.

 

Il l’a invitée à dîner, comme il se doit. Il l’a raccompagnée chez elle en lui volant un baiser, comme il se doit. ? Il s’attendait à une gifle, non point ! Enhardi, il a glissé sa main dans sa petite culotte. Elle n’a rien dit. Sur de lui, il a poussé son doigt jusqu’à sa fente, et là, oh ! Il est entré tout seul ! Nul hymen en obstacle à sa fougue ! L’oie n’était plus blanche…

 

Décontenancé, il a récupéré son bien. Son escargot s’est recroquevillé dans sa coquille, vexé de se voir ravir la primeur de ce nouveau territoire. Machinalement, il passe sa main sur son visage, respirant le parfum fruité du coquillage duveteux.

 

— Comment se fait-il ? C’était à moi, à moi seul ! Je vous voulais tout entière, et vous l’avez donnée à un autre !
— À vous ? Mais de quoi parlez-vous ?

 

Il bredouille, les larmes aux yeux, redevenu l’enfant gâté qui trépignait pour obtenir ce qu’il souhaitait.

 

— Votre virginité…

 

La princesse Doretta part d’un irrésistible rire qui cascade en grelots sautillants en suprême affront. Sa gorge se gonfle comme celle d’un oiseau chanteur. Sa longue chevelure ondoie au soleil, voile d’un navire miroitant sur l’océan.

 

Le prince Vajtenfiche naufrage, noyé sous l’écume salée des larmes qui roulent sur ses joues. Il revoit en un brouillard luisant les cuisses blanches d’Alice, les seins pointus de Gabrielle, les petits pieds de Lisa qu’il croquait gentiment avant de lui faire rendre les armes.

 

— Ce n’est pas possible !

 

Quel est l’emplumé qui a pu compromettre sa promise de telle façon ?
Goguenarde, l’oie blanche le toise, la bouche en cœur.

 

— Très cher ami, mon promis, j’ai suivi le plus doux des exemples, le vôtre. Quelle femme aurais-je été si je m’étais présentée ignare, dans le lit conjugal ?
— Profite de ta jeunesse ! Disait ma mère. Elle t’est donnée pour apprendre, et prendre ce qui ne te sera plus donné. Ton mari te trompera, si tu ne sais le tenir. Sois femme, plus qu’il ne peut être homme. Ton corps t’appartient, à toi, et à nul autre.
— En fille dévouée, je me suis exécutée. J’ai initié les jeunes gens aux fastes de l’amour, qui m’ont été enseignés par leurs pères. J’ai joué de mes charmes chaque jour sans entraves, toute entière tendue vers le souhait d’apprendre comment vous satisfaire, mon Prince. Je serai dorénavant à vous, très cher, toute entière dévouée à votre plaisir.

— Vous n’êtes qu’une catin ! Une souillon salie dans la couche des porcs qui ont osé vous… Jamais vous ne serez mienne ! Retournez vous vautrer dans la fange de vos amours salaces ! Je ne veux point de vous !

— Et vous ? Cher Prince ! Vous qui avez couru le guilledou dans toute la contrée ! Vous qui vous êtes encanaillé avec mes plus chères amies ! Monsieur ! Qu’avez-vous donc à guigner après chacune sans m’en donner même droit ?

 

Refroidi, le prince a une soudaine bouffée de haine chaude qui lui monte au front. Son cou rougi gonfle et palpite tel un volcan qui va exploser. Son physique, d’ordinaire avenant, se contracte et se tord sous le poids de la rancœur. La rage dévoile son autre visage, celui de l’homme colérique. Instinctivement, il lève une main que la belle arrête d’un revers sans appel.

 

— Il suffit, mon ami ! Je suis femme, et le resterai. Entière, et libre de mener à ma guise la vie qui me plaît. Libre de choisir mon lit et celui qui y dormira. Libre de voyager de par le monde, de me lever à l’heure qui me sied, sans chaussettes à ravauder ni mari aviné à supporter. Mon mari sera liberté, mon amant passager, et les vaches seront bien gardées !

 

Sur cette tirade, oh combien stupéfiante dans la bouche d’une jeune fille de bonne famille, la princesse Doretta soulève ses jupons, dévoilant sa blanche culotte. Elle y glisse la main, l’œil narquois.

Le prince Vajtenfiche ne sait plus que penser.
Va-t-elle pousser l’audace à se déculotter en pleine rue, là, devant la maison familiale ? Se joue-t-elle de lui ? Son esprit se brouille. Il n’entend plus que le bruit de son cœur qui résonne en violents coups de boutoir incontrôlés dans son pantalon.
La demoiselle laisse retomber ses jupes, mettant un frein à l’ardeur manifestée par l’insoucieux escargot de son ex-futur époux.

 

— Tenez ! Voici pour vous un souvenir tout chaud. Vous le goûterez, savourez ce moment fugace où, vous connaîtrez la valeur de l’esprit d’une femme devant la muflerie de l’homme.

 

Ce faisant, elle glisse dans la main du déconfit un abricot tout chaud, délicatement fendu. Il n’a plus de noyau. Son parfum fruité s’insinue dans les narines du prince. Ce parfum… ?

Rouge d’humiliation, il entend le rire cristallin de Doretta gravir les marches du perron. La porte refermée sur sa honte sonne le glas de ses espoirs de bonheur. Il réalise l’ignominie de sa conduite. Sa dulcinée l’avait percé à jour, le laissant s’enferrer dans ses égarements. Quelle duplicité ! L’escargot en berne, il fuit vers les lieux de perdition de la ville à la rencontre de sa virilité écornée.

 

Fin n°1

 

Il n’y trouvera pas le réconfort. Depuis ce jour, son esprit troublé voue une haine féroce aux femmes de bonne famille. Errant de bouge en bouge, il se perd en aventures sans âme et y laisse santé et fortune. Prince déchu, il hante encore les enfers en quête des lieux de perdition.

 

La princesse Doretta vécut seule et n’eut pas d’enfants. Jamais elle n’eut à se lever tôt, à changer les langes des marmots, ou à subir la vindicte d’un mari lassé d’elle. Vite fatiguée des amours de passage, elle n’eut pas pour autant le bonheur, car une vie sans partage est comme un plat de pâtes sans sel. Elle connut la quiétude de l’ennui de faire tout ce qui lui plaisait et s’endormit pour toujours sans avoir vraiment connu la vie. Personne ne la vit entrer au Paradis, elle était trop craintive pour aller si haut.
Elle rôde dans les limbes de ses regrets, au-dessus des lanternes rouges, loin de chez elle, dans les bas-fonds d’une vie qu’elle contemple enfin.

 

Moralité : Vivez l’instant droit debout, sans penser à demain. Aimez sans regret, mais, toujours, aimez bien. Rien ni personne n’est éternel. L’amour va et vient, mais si vous le vivez vraiment, peu en importe le temps. Vous serez riches, toujours, des moments vrais que vous aurez partagés. Le reste n’est que parlote…


Fin n°2

 

Le prince Vajtenfiche resta prostré pendant trois jours en son château. Le cœur malade d’amour, il comprenait enfin qu’on lui avait menti. La vie n’était pas celle que son père lui avait décrite. Par sa faute, il avait perdu celle qu’il aimait, et pire, encore, il l’avait insultée.
Ses larmes coulaient sans fin, diluant les mots qu’il couchait sur le papier.
Au quatrième jour, il fit porter la missive chez la princesse Doretta. Puis, il enfourcha son destrier et disparut pour toujours.
Les paysans racontent qu’il a marché tout droit vers la combe des roches noires. Les pieds vissés à la roche, il a levé les bras au ciel et imploré le pardon de sa belle. Ses pleurs ne cessaient pas. Ses larmes eurent tôt fait de le submerger. Ses cheveux noirs ont flotté sur le lac salé qui l’engloutissait. Puis, subitement, le soleil s’est levé et l’onde s’est éclaircie.
Les oiseaux en sont témoins et, depuis, ils chantent sur les berges du lac nouveau.

 

La Princesse Doretta rentre chez elle pleine d’un sentiment de triomphe. Victorieuse, elle a regardé derrière sa fenêtre son prince pas si charmant s’éloigner, les épaules basses. Fière de sa virginité préservée, elle a conté l’histoire par delà les frontières du canton. Mal lui en prit, car son manque de retenue lui valut le dédain des dames et la fuite éperdue de la gent masculine.
L’après-midi du quatrième jour, une lettre lui est portée. L’adieu déchirant du prince Vajtenfiche lui remua le cœur plus qu’elle ne l’aurait cru. Elle avait eu vent le matin de cette étrange retenue d’eau apparue à la combe des roches noires.
Elle s’y rendit et reconnut, flottant sur l’eau saumâtre, les cheveux de son promis éconduit. Ses larmes de regret jaillirent comme fontaine, mêlées à celles du prince.
Elle comprit que la vie n’était pas celle que sa mère lui avait contée, et que son prince maladroit était mort d’amour pour elle. Elle lui accorda son pardon de grand cœur, lui faisant serment de garder pour lui son abricot quand elle le retrouverait dans l’autre monde.
Le lac du pardon abrite dorénavant son secret. Elle s’y rend une fois l’an, unique jour de sortie autorisé par les sœurs du cloître qui l’a accueillie.

 

Moralité : S’il faut écouter ses parents, rien ne vaut de vivre comme eux, car le monde change.
Ce qui a existé n’est plus, et s’il est risqué de se disperser en vaines conquêtes, rien ne sert de se dessécher l’abricot, ou de mourir de honte. Il suffit de se parler sans mentir et de savoir dire non, si tel est notre bon plaisir, car notre corps nous appartient. Mieux vaut attendre que pourfendre…

 

Eve Zibelyne le 21 avril 2013

Le requin bas de laine Conte pour les petits

Le requin bas de laine est marteau

 

Tim somnole, allongé sur le canapé. Il nage entre deux rêves. À la télévision, un requin gris et blanc tourne en rond.

 
— Le requin-baleine des Galapagos est un mammifère qui se nourrit de plancton et de krill…


La dame de la télévision a la voix monotone, si monotone… Tim s’endort. Il nage dans les eaux bleues de la mère des gars Lapagos.

 

— Un requin bas de laine ! Droit devant !


Publié juillet 2014

 

Les Poules du Père Noël

Les poules du Père Noël

 

De drôles de choses flottent en l’air ! Polystyrène ? Coqueluche happe la friandise au vol. Étrange, elle ne croque pas sous le bec ! Elle… fond dans la bouche ? Une autre ! Encore une autre ! Rien à faire. C’est détestable, sans goût, et si froid !
Vexée, Coqueluche abandonne sa chasse et court se réfugier sous l’abri des thuyas. Les immenses arbres étendent leur ramure en parapluie, au plus loin qu’ils puissent. Mais les volis s’accumulent, poussés par le vent.
Le sol blanchit. Cracoucas en est bien aise. Enfin ! Il se sent moins seul ! Lui, le coq nègre soie si blanc, moqué, houspillé par le maître de la basse cour !
Flitox, le gros coq roux à queue empanachée de vert… lui seul, règne sur la basse-cour. Le paltoquet coloré s’est perché sous les arbres. Le pleutre !
Cracoucas, lui, est juché sur un rondin poudreux. Lui, règne sur le blanc ! Il pousse un cri rauque de vainqueur.
— Ce n’est que de la neige ! Moi ! Cracoucas ! J’ai invoqué le ciel, et la neige est venue !
Les jeunes poules de l’année s’agitent. Qu’est-ce donc, ce discours ? Le Cracoucas parlerait aux Dieux ?
Coqueluche, imperturbable, s’assoupit. Perchée sur une patte, elle enfouit sa tête sous son aile. Elle rêve, perdue dans la neige. Avec sa tête de linotte, elle avait oublié la neige. Le manteau blanc qui recouvre la terre est bien froid, mais si joli.
Le père Noël ne devrait plus tarder. Il amènera une hotte de coquilles d’huitres encore bien vertes, piquetées de petits coquillages, et ses bouquets de crevettes rose orangé si savoureuses ! Elle adore les yeux ! Elle se damnerait pour ces friandises d’un noir brillant et du corail délicieux qui lui ravit le jabot !
Flitox, tétanisé par l’audace de Cracoucas, regarde s’abattre le silence ouaté. Dans un sursaut d’orgueil, il lance un vigoureux « Cocoricooooo », qui s’étouffe, absorbé par le revêtement neigeux.
Impressionné, il trépigne en se rengorgeant devant ses poulettes qui ne lui prêtent pas attention.
— Chante, beau merle ! marmonne Cracoucas. La cocotte t’attend, si tu fais ton malin…
Il faut dire que si Cracoucas n’est pas le coq de ses dames, il est celui de sa maîtresse. Le petit blanc tout doux aux joues bleues est un animal de collection. Un bijou ! Il a déjà vu passer deux hivers et nombre de poulets partir vers le grand voyage. La petite Coqueluche est aussi un bijou.
La chouchoute de la patronne ! Lui arrive-t-il de grommeler, un peu jaloux. Il y a aussi Poulnareff, la grosse blanche à la tête d’aigrette. Eux, et eux seuls savent. Les autres volailles sans cervelle ne font pas long feu et finissent dans le grand bouillon !
Elles en perdent leurs plumes et finissent toutes nues, comme des moins que rien !

Le petit coq s’ébroue. La neige lui poudre les ergots. Un fumet de poisson lui parvient aux narines. Il en claque du bec !
Majestueux, il saute de son piédestal et annonce, grandiloquent.
Mesdames, demain, nous aurons des crevettes au menu ! Voici venu le temps de Noël ! - Croyez-moi, demain, la gamelle sera bonne !
Curieuses, les poules s’agglutinent comme des mouches sur de la vermine.
Côôôaaa ? Des creux verts ? Mais il n’y a plus d’herbe ! Le couvercle blanc a tout enfoui !
— Mais non ! Pas des creux verts ! Des CREVETTES ! Des crevettes roses avec de beaux yeux et des antennes, et des pattes, mille pattes au moins !
Cracoucas ne sait pas compter, mais il sait que les crevettes ont plus de pattes que lui…
— Et, c’est bon ? Une poulette naine le regarde avec de grands yeux de biche qui sautent sous leur paupière.
Elle a bonne mine la petite, bien ronde et plumée juste comme il faut !
D’un bond, Cracoucas lui frétille sur le dos en lui chatouillant les oreilles du bec. C’est bon ma cocotte, c’est même délicieux, ahhh !
— Et un œuf de fait dans le dos de Flitox, un !
L’autre le regard d’un air rogue, mais ne bouge pas.
— Et après ? Chante la poulette en s’ébrouant ? Après, il y aura quoi ?
— Il y aura les huitres, et la peau du poisson rôti. Et puis, les clémentines pourries, les épluchures d’avocat, les arêtes, et le chapon…
Cracoucas stoppe son élan. Les poules le regardent, interrogatrices.
— Oui ? Le chapon ? Et après ?

Le petit coq soupire. Comment leur dire qu’il est cannibale ? Qu’elles aussi, sans le savoir, mangent les restes de leurs congénères… Il en faisait des cauchemars, au début. Tout perturbé, il en chantait au beau milieu de la nuit.
Et puis, il en avait pris son parti. C’est si bon, la peau dorée du chapon ! Il regarde Flitox par en dessous. Le gros coq a de beaux mollets. Si la maîtresse lui coupe les boules, il fera un beau chapon pour l’an prochain…

— Et après… Il reprend ses esprits.
— Après, il y a le traineau du Père Noël !
Un grand silence se fait. Le traineau du Père Noël ?
C’est un légume ? Un fruit exotique ? Non, ce doit être un homme ! La maîtresse a un manteau de Mère Noël !
— Oui, mais un homme, ça ne se mange pas ? La petite poule clôt le babillage de sa voix fluette.
— Mais alors ? Après ? Il y aura quoi, après ?
Cracoucas lève le bec au ciel. Ces poules ! Quelles têtes de piafs !
— Chaque année, le Père Noël descend du ciel sur son traineau tiré par les rennes.
— Les rennes ? Ça se mange, les rennes ?
— Oui… ça se mange. Mais c’est trop gros. Et ça souffle fort, ça rue, ça donne du sabot !

En extase, les poules imaginent un plat de rennes, fumant.
— Moi, je veux bien manger dans la rue, et le sabot, c’est bon ! dit la grosse rousse tachetée.
— Du sabot ! Du sabot ! Reprends en chœur la basse-cour.
— Il suffit !
Cracoucas saute sur le tas de fumier et gratte des ergots.
— Allez vous écouter ! Les rennes ne sont pas pour les poules ! Même les hommes ne les mangent pas, alors il n’y aura pas de restes, et pas de sabot au menu !
Flitox profite de l’agitation pour défier le coq blanc.
— Tu parles pour ne rien dire ! On a du bon blé, du maïs et du pain ! Que vas-tu inventer avec ton Père Noël et tes rennes ? Prouve-nous leur existence, et tu seras le roi du poulailler ! Sinon, tu peux numéroter tes abattis, car je te plumerai !
— Je relève le défi ! Et mieux ! Ce seront les poules qui tireront le traineau, et, moi, je tiendrai les rênes !
Impressionné, Flitox fait la moue. Il n’a pas tout compris. Pourquoi ce petit présomptueux veut-il tenir les rennes, puisque ça ne se mange pas ?
— Et après ? Il y aura quoi, après ?
Cracoucas baisse les plumeaux. C’est épuisant d’être chef.
Le soir tombe. Les deux rivaux poussent les poulettes vers l’abri de la cabane. La neige a cessé de tomber. Les pattes impriment une frise stylisée dans le coussin neigeux.
Les petits petons d’une souris frangent le tracé. C’est son heure. Elle va quérir du blé pour ses petits. Tandis que la volaille s’endort, rats et souris s’activent allègrement.

Le gros rat gris a bien entendu le discours de Cracoucas. Il n’aime guère l’autre coq, ce gros lard imbu de son autorité. Il a dévoré un de ses petits, débusqué par la fourche à fumier. Ratougris a une revanche à prendre ! La poulaille n’est pas assez futée pour s’en sortir seule. Il aidera ce petit coq courageux !
Il bat le rappel sur un tuyau de cuivre.
— Ding, ding, ding !
Ébouriffée, une poule grise, pas encore endormie, saute au sol, ventre à terre. C’est une nouvelle, arrivée depuis peu au poulailler. Une poule de la ville, couvée sous lampadaire… avait coutume de dire la grosse rousse.
La grise n’était que de passage, comme la rousse tachetée. Elles venaient de Saint-Avertin, une bourgade bourgeoise où elles avaient chacune leur clapier personnel. Leur maître avait eu un accident. Il avait essayé de voler, comme elles, quand une voiture l’avait percuté sur le trottoir.  Un homme volant ! Il avait fait dix mètres d’un vol enlevé, oubliant de battre des ailes. Bien évidemment, il s’était écrasé, le menton dans le caniveau. Les hommes sont des animaux de piètre condition, juste bons à servir les poules, c’est bien connu !
Les cocottes de luxe ne lui avaient pas tenu rigueur de son peu d’aptitude au vol, mais, elles lui en voulaient d’être parti se faire réparer en les délaissant.
Elles faisaient l’œuf en se nourrissant de peu, jusqu’au jour où on les avait déposées dans ce poulailler de campagne, pour des vacances, leur avait-on dit.

— Où ? Où ça ? Où c’est t’y qu’est là ?
L’idiote court en tous sens. Aveugle, elle se heurte partout et renverse la bassine d’eau de pluie qui asperge les rats accourus en nombre.
Les dents luisent de fureur sous le reflet de la lune.
— Qui ? Qui ça ? Qui c’est t’y qu’est là ?
Le rat de service appuie sur le bouton de lumière. Un faible lumignon s’allume dans la cabane. La pouliote s’y précipite, affolée. À la hâte, elle se perche, poursuivie par les cris infernaux des rats mouillés.
— Quand ? Quand ça ? Quand c’est qu’t’y qu’est là ?
Ça proteste sur les perchoirs ! Cette idiote les ferait choir ! Les poules se poussent en maugréant du bec. Les deux coqs ne disent mot, indifférents à ces bêtes histoires de filles.
Flitox s’est approprié d’autorité les nouvelles venues au croupion aguicheur. Il était bien le seul à apprécier ces bêcheuses qui savaient à peine dénicher leurs vers.
La grise glousse un sanglot. Son clapier lui manque. Elle, qui n’a jamais connu sa mère, se prend à regretter le chaud silence de sa lampe. Elle s’endort tête sous l’aile, en rêvant de ce Père Noël tiré par des rennes.
Sans bruit, Ratougris s’est glissé près de Cracoucas. Ce qu’il lui a chuchoté à l’oreille, nul ne l’a entendu. Il est reparti en silence, laissant Cracoucas rêveur…

Dehors, les rats encore humides tiennent conseil. L’idée de Ratougris fait son chemin. Ils ont montré les dents à l’idée d’aider les poules voraces. Ces grosses plumées ne leur font pas de cadeau lorsque l’homme débusque les nids. Nombre de leurs petits se font dévorer par ces « bouffe tout » enragées qui les prennent pour des vers ! Ces poules avec leur œil terrible qui se dilate, ils ne les aiment pas ! Mais, ils aiment leurs œufs, et le grain qui coulait d’abondance.
Ratougris termine son exposé.  Les rats se lissent les moustaches sous la lune. La neige immaculée a couvert les traces. Ils frissonnent, malgré la poignée de paille chipée dans le pondoir.
Voler la vieille luge en bois accrochée sous l’appentis, ça ne leur déplaît pas. L’amener au poulailler sera plus difficile. Mais la vision du traineau chargé de provisions dépeinte par Ratougris leur fait frémir le poil d’envie. Il y aura des huitres et des crevettes ! Du chapon et des clémentines, et des chocolats…
Le ciel leur sourit. La lune ouvre la marche. La colonne des rats trace dans la neige. Le ventre mouillé, ils arrivent à l’appentis.
Les dents liment les cordes, rongent les liens.
— Scritch, scritch, scritch !
Les plus forts ont glissé des lames de bois sous la luge pour la laisser glisser sans bruit.
Arcboutés aux crochets, les rats forment la queue.
La queue ? C’est une chaîne solide. Une tresse de rats, queues enroulées, petites pattes bien serrées, laisse filer la corde sectionnée. La luge descend en douceur. La queue monte, en contrepoids, et s’éclate tel un feu d’artifice, éparpillement noir sur les planches de bois. Seuls luisent les petits yeux et l’éclat des dents, rougies par l’effort.
Les petits malins ont coupé la corde au plus haut, lui laissant une longueur appréciable pour pouvoir la tirer.

Les petits s’en donnent à cœur joie. Perchés sur les lames, ils trottinent en poussant de petits cris de joie. Les grosses mères poussent, les mâles tirent l’engin qui glisse sur la poudreuse.
C’est qu’il y a bien une cinquantaine de mètres à parcourir !
L’équipage contourne le puits du bananier, territoire des lérots. Pas de bagarre ce soir, les rats ont d’autres chats à fouetter ! La famille Rapetou les regarde s’éloigner de leurs grands yeux cerclés de noir. Quel affront ! Passer ainsi devant leur tanière avec cette prise ridicule !
Qu’est-ce qui passe par la tête de ces longues queues ? Voler du bois ? Quelque chose se trame ! Les lérots en auront le cœur net !
Les patins glissent. Les rats tirent.
— Hisse ! Hisse hé ho !
Les rats chantent pour se donner du cœur à l’ouvrage.
— Marche frère ! Tire frère ! De l’aube jusqu’au soir, tire sans espoir !
C’est Renégat, un baroudeur qui leur a appris cette rengaine.
— J’ai parcouru les sept mers et bravé les tempêtes ! S’enorgueillait-il à la veillée.
— J’ai charrié du grain sur les glaces de la Volga et goûté aux vertiges de la vodka. J’ai entendu crisser les cordes gelées ! Allons, mes frères ! Ce n’est pas cette neige qui va nous arrêter !
Les ratons applaudissent. Ils adorent les histoires de ce vieux pirate au poil brûlé par le feu des cambuses.
La luge tourne sur le petit chemin qui longe le bassin. Les carpes, alertées par le tapage dans le grand silence blanc, osent un regard désapprobateur et plongent derechef sur leur lit de sable. Ceci ne les concerne pas. Il n’y a que le poisson rouge, curieux, qui tend les ouïes pour saisir le sel de l’affaire.
Les petites pattes de derrière raclent les dalles gelées. Les pattes de devant commencent à sentir la morsure de la corde.
Étonnés, les lérots reniflent les gouttelettes qui rougissent la neige. Quelle mouche a donc piqué les rats ?
L’équipée sauvage profite de l’ombrage du bambou généreux. Les flocons tombent dru. Les rats secouent leur pelage. Les petits glissent sur la trace des patins, insouciants.
L’air est plus chaud ici, entre le bambou, et la piscine qui freine le vent d’est. Plus que dix mètres en terrain découvert. Ratougris diligente deux jeunes rats pour une mission d’importance.
— Courrez au poulailler et ramenez du maïs !
Les jeunes rats reviennent rapidement, les joues rembourrées. Ils déposent leur butin sous le bambou, et chacun grignote en silence. L’épuisement se fait sentir, et tout reste à faire…
Un lérot trop curieux s’approche dangereusement.
— Qu’allez-vous faire de cette chose ? Pourquoi ne restez-vous pas au chaud ? Et… ça sert à quoi, dites ? Ça sert à quoi ?
Le poisson rouge tend l’ouïe et prend le vent. Il enrage de ne pas avoir de pattes et claque des nageoires dans le froid.
Les rats montrent les dents, furieux de cette impudence, lorsque, soudain, le lérot fait un vol plané et retombe, enfoui dans la neige.
Un éclat de rire général salue la cascade involontaire. Le petit groupe de ratons glisseurs, qui s’est arrêté sur le postérieur de l’imprudent, soupire de soulagement.
Le lérot aplati grimace et secoue son poil. Ces rats !
Une grosse mère vient se planter devant lui.
— Si tu veux savoir, tu prends ta part ! C’est bien joli de faire l’andouille, mais il reste de l’ouvrage !
Elle s’adresse alors à l’assemblée des rats.
— C’est la trêve de Noël ! Acceptez-vous d’oublier vos querelles de noix ? Allons-nous faire ce traineau ensemble ou nous battre comme des rats ? Le froid aura gelé vos pattes avant la fin de la bataille et le Père Noël ne passera pas sur une terre de désolation !
Que l’on soit rat tout noir ou Lérot noir et blanc, souris grise ou musaraigne brune, qu’importe ! Il y a à manger pour tout le monde au royaume des poules ! Et si nous les aidons, peut-être cesseront-elles de prendre nos petits pour des vers ? Peut-être vivrons-nous tous en paix durant le règne du Père Noël ?

Les rats restent silencieux. Le poisson rouge en cherche ses oreilles. Ils l’ont oublié ! La famille lérot s’est approchée. La mère fait rouler des noix aux pieds de l’harangueuse volubile qui s’en saisit et entame une danse déboulonnée. Ou, débridée ? Déjantée ? Serait-ce l’heure du thé ?
— Regardez ! Voici les offrandes de paix ! Rassemblez vos mains et tournez les pattes en dehors ! Un entrechat à droite, une virevolte à gauche, et tournez, tournez les noix !
Les petits entrent dans la danse, rats et lérots unis. Les adultes suivent timidement, se reniflant du bout du museau. Les noix craquent de la coque et se retrouvent chapeaux, vissés d’une pichenette sur le crâne des haleurs.
Quelle trouvaille ! Les rats n’en reviennent pas. Ces lérots voleurs ne sont sans doute pas si mauvais que ça…
Tous prennent place autour du traineau. Le sol descend en pente douce, la luge arrive sans encombre à la porte du poulailler. Les mains se frottent, chauffent les engelures tandis que deux audacieux ouvrent le loquet.
Une dernière poussée, et l’objet de leur convoitise force le passage, poussant le grillage.
La porte est bien gracieuse de se refermer d’un léger coup de vent.
Les souris accourent, avisées de la trêve.
— C’est quoi, Noël ?
— C’est qui, le Père Noël ?
— À quoi sert cette chose de bois ?
— C’est quoi, un réveillon ?

— Silence ! Ratougris domine les curieuses, dressé sur le gros bidon bleu qui renferme le maïs.
C’est lui qui a eu l’idée d’en percer le fond. Il a creusé un tunnel juste en dessous et s’est écorché les gencives à percer le solide plastique. L’homme n’a rien vu. Il remplit toujours le bidon avant qu’il soit totalement vide. Ainsi, la tribu dispose de réserves inépuisables sans prendre de risques. Ce bidon bleu, c’est le symbole de la conquête du rat !
Ratougris laisse leur part aux souris en échange de quelques menus services.

— Cette chose est un traineau ! Noël approche et le père Noël va passer chez les hommes. Mais nous, cette année, nous aurons notre Noël ! Quand le vieil homme verra notre traineau, il nous couvrira de cadeaux ! Nous aussi, nous avons le droit de réveillonner !

— Réveillonner ? Souricette répète le mot en boucle.

Réveillonner !
Ça brille de mille feux !
Ça chante et c’est gracieux !
Ré ve illo nner !
Ça tinte et c’est tant mieux !
Ça met de la poudre aux yeux !
Réveillonnerrrr !

L’assemblée reprend la chanson en cœur, insouciante du raffut. La nuit, tout leur est permis, tant que Cachalotobis ne rôde pas. Le matou est gras comme une baleine, et il ne mettra pas ses coussinets dehors par ce temps.

La chorale des souris, des lérots et des rats s’épuise à chanter et à danser. La liesse tombe avec le jour qui point. L’homme sera bientôt là ! Il faut agir.
Le traineau est installé en bonne place, prêt à décoller. Caché sous des branchages, il peut attendre.
Le chant du coq donne le signal de la débandade. Seul, Ratougris reste encore, droit sur son bidon.
Les poules sortent, une à une, envolée poussiéreuse. Flitox se dérouille les plumes sur le dos d’une blanche encore endormie. Cracoucas se perche près du rat et pousse un cocorico retentissant. Personne n’a encore vu son petit compagnon…
— Cocoricooo !
La volaille arrive à l’appel, interrogatrice. Il n’y a rien à gratter, là-haut ? Qu’a donc dégotté Cracoucas ? Un rat ?
— Cocorico !
Le petit coq intime le silence et parle. Il leur raconte ce que Ratougris lui a chuchoté à l’oreille cette nuit. Le rat juché sur son cou, il vole vers le traineau et s’y perche.
Les poules n’en reviennent pas.
— Quoi ? Quoi ça ? Quoi c’est t’y qu’est là ?
La poule Saint-avertinoise se souvient de son affolement nocturne. C’était donc ça !
Toute fière, elle saute sur la luge.
— Qui ? Qui ça ? Qui c’est t’y qu’est là ? Ah, ah !
Elle ne va pas plus loin, interdite. Mais que voulait-elle dire ? Qu’importe ! Elle y est, elle y reste ! Elle coule un regard doux à ce joli coq blanc. Ratougris a suivi le manège. Cette poule est robuste. Elle sera parfaite pour l’attelage.
Cracoucas hoche du bec. C’est certain. De quelques gloussements bien sentis, il donne ses ordres.
L’escadrille se composera de cinq grosses poules bien musclées. Coqueluche, la jolie poulette nègre soie, dirigera les sessions d’entraînement. Dans trois jours, tout devra être fin prêt !

Flitox écoute, le regard mauvais. Il ne voit pas d’un bon œil l’initiative de ces rongeurs poilus. Quel culot ! Une alliance des poules et des rats, a-t-on jamais vu ça ? Persuadé du ridicule de l’histoire, il ne croit pas un instant au succès de Cracoucas. Fadaises ! Noël n’existe que chez les hommes !
Poulnareff se lisse les plumes. Elle a été choisie pour faire partie de l’escadrille. La belle blanche aura fière allure avec sa houppette ! Cracoucas l’a désignée pour être au premier rang. Une poule blanche comme la neige pour conduite le traineau. Ce sera un bien beau Noël !

Et voici que les poules, d’ordinaire, cocottes tranquilles, se prennent de voler plus haut qu’elles ont le cul !
Le toit de l’appentis devenu rampe de lancement tremble sous les assauts répétés des poulettes endiablées. Elles ont et viennent, du toit à la clôture, inlassablement.
La journée se passe dans l’effervescence. La maîtresse a eu l’air étonné de voir ses poules perchées si haut, mais elle ne s’est pas attardée à si peu. Le terrain était libre
L’entraînement a repris de plus belle.
Le vol des poules, de balourd, devient gracieux, et c’est une élégante escadrille que Coqueluche fait aligner au garde à plumes devant Cracoucas.

Le petit coq passe ses troupes en revue, et, généreux, saute sur le croupion de ses vaillantes messagères ailées pour les remercier.
Ça froufroute de concert. Ce nègre soie est bien gentil, tout compte fait ! Bien plus léger et plus doux que le rude Flitox, qui, lui, leur plume le dos sans vergogne !

Les poules se sont couchées, harassées. Elles comptent leurs abattis et tremblent du pilon, les muscles tétanisés par l’exercice.
Les rats ont tressé les rênes. La luge, débarrassée de ses branchages, est mise en position. Le père Noël peut arriver.

Le petit matin arrive tard. Les flocons ont recouvert le traineau. La maîtresse survient, dans son manteau de mère Noël. C’est le plus chaud de ses manteaux. On n’y voit pas le bout de son nez, caché dans la capuche bordée de fourrure.
Elle apporte les épluchures de la veille. Carottes, fenouil, courgette et patate douce qu’elle lance à tout va afin que chacun ait sa part.
— Mangez les filles ! Demain c’est réveillon, vous aurez de bons restes tout frais !
Les poules gloussent de joie. C’est donc vrai !
Le mari de la mère Noël arrive dans sa cotte vert-jardin.
— Le réveillon ! Le réveillon ! Caquettent les poules en se jetant sur sa caisse de trognons de pommes et d’écorchures d’oranges.
— C’est un lutin, c’est un lutin ! Chuchotent les poulets de l’année qui ont vu les images du journal qui tapisse la cagette. Il a mis un bonnet !
Les pourvoyeurs repartent, inconscients de l’émoi qu’ils ont provoqué.
— La neige les rend folles ! S’esclaffe le lutin vert en allant au bassin.
Les carpes ne se dérangent pas. Le poisson rouge tente vainement de se plaindre. Il ouvre démesurément la bouche dans un cri que nul n’entend.
En guise de réponse, il reçoit une pluie de miettes orangées qu’il dévore de dépit.
— Ces hommes sont si bêtes. C’est à croire que tout passe par leur ventre ! Rage le petit poisson en fouaillant l’eau de sa queue empanachée. Puisque c’est ainsi, il fera la carpe !
L’entrainement reprend sous un soleil mollasson. Les poules ont enfilé l’harnachement tressé dans la nuit. Elles sont magnifiques avec leur harnais, de vrais rennes !

Poulnareff se fond un instant dans le grand manteau blanc qui se salit vite, piétiné d’empreintes et de traces de glissades. Le sol est gelé. Les poules trébuchent sous le poids du traineau collé au sol.
L’affaire semble mal partie, mais, contre toute attente, l’orgueilleux Flitox vient à leur aide. Arc bouté sur ses solides ergots, il pousse, et, enfin, le traineau glisse sur la neige.
Les souris et les rats, enchantés, sortent de leurs abris. Les applaudissements crépitent joyeusement.
L’attelage fait un tour, puis deux, et s’élance à grande vitesse.

Les poules ébouriffées battent, battent des ailes ! Poulnareff donne un puissant coup d’accélération, et elle décolle, entrainant l’équipage et la luge.
Las ! Elles n’iront pas bien loin ! L’amorce du demi-tour mal négociée, voilà que la belle blanche de tête s’écrase sur le ventre, croupion en l’air ! Les grosses poules s’agglutinent le bec dans son derrière en une envolée caquetante !
Poulnareff se relève, sonnée comme un grelot. Elle voit des étoiles en plein jour. Le ciel serait-il tombé avec la neige ?

Coqueluche tourne en rond en dandinant de la tête. La luge est trop lourde et la piste trop courte. Il faut sortir et prendre le chemin. Ratougris a devancé ses pensées. Il a décroché l’attache de la porte grillagée. Personne dehors ? Les maîtres sont occupés dans la maison à préparer le repas. De bonnes odeurs à faire chavirer le cœur parviennent jusqu’au poulailler.
Les deux coqs se ruent sur l’ouverture et frayent le passage.
La ribambelle des rongeurs pousse le traineau derrière les poules essoufflées. L’excitation est à son comble. Les ratons babillent et courent en tous sens. Les lérots de dressent sur les montants de bois et scandent la poussée des hisse hé ho entendus chez les rats.
Certains chantent hissez haut ! D’autres hisse et ho ! Mais, qu’importe qui chante faux, le cœur y est et le refrain court, donnant du courage aux gallinacés.

Coqueluche a réquisitionné Flitox avec autorité. La poulette a assez subi la morsure de ses ergots. Elle prend un malin plaisir à donner des ordres à ce vaurien, qui, certes, a une belle queue verte mordorée, mais qui ne sait rien faire d’autre que de la remuer !
Le coq, agrippé à l’arrière de la luge, l’enserre solidement de ses pattes. Il bat de ses ailes puissantes, soufflant un blizzard neigeux derrière son croupion tendu.
Cracoucas applaudit des abattis ! Cette poule a un culot du tonnerre ! Il chante de sa plus belle voix et toutes ailes dehors, le traineau prend son envol.

Le spectacle est époustouflant. Le poisson rouge en oublie de fermer la bouche et se gargarise, stupéfait, en bulles d’incompréhension.
Les carpes, alertées par ce langage inhabituel, pointent le bout de leurs barbes, et se fondent en gargouillis admiratifs.

Les poules du père Noël passent d’un vol gracieux. Une poule neigeuse tient la tête, coiffée d’une houppette digne d’un ara audacieux. Quatre grosses poules attelées la suivent. Cendre et Noisette, les Saint-Avertinoises, et deux rousses, les meilleures pondeuses du poulailler.
À l’arrière, un géant à la crête carmin déploie des ailes d’aigle qui claquent dans l’air glacé.
Sur le traineau, les carpes reconnaissent les rats du poulailler, les lérots du bananier, et les souris qui vivent sous les lauriers. Certains sont sur les lames, d’autres sur les bois du siège, mais tous clament une étrange chanson qui parle de… hisser l’eau ? Les carpes restent perplexes. Un projectile atterrit dans l’eau et s’enfonce doucement en tourbillonnant. Elles n’y prennent garde, trop occupées à regarder en l’air. La vision s’éloigne.
Ont-elles rêvé ? Vont-elles s’envoler, elles aussi, si on hisse l’eau ?
La horde de petits piailleurs qui poursuit le traineau les ramène sur terre.
— C’est donc bien réel ? Ce curieux de poisson rouge a bien compris ? Le Père Noël va donc passer au bassin ?
— Bien sûr ! Puisque je vous le dis ! Vous les avez vues comme moi, les poules du Père Noël ! Elles ont réussi… bulle le rouge en nageant comme un fou.
Majestueuses, les carpes font des cercles. Elles s’inclinent, mais ne perdent pas la face.
— Nous le savions, c’est évident. C’est tous les ans pareil, Noël revient et s’en va comme si de rien n’était. Ce malotru n’a jamais eu la politesse de venir nous saluer ! Qu’il garde son réveillon, il est l’heure de s’allonger !
Les bêcheuses descendent retrouver leur lit de sable blanc. Le poisson rouge veille. Il croit au Père Noël. Que ces carpes qui croient tout savoir aillent au Diable ! Lui, il attend son cadeau ! Curieux ont-elles dit ? Il plonge sous les hautes herbes, à la recherche de cet étrange objet que les poules ont perdu.
Une des rousses a fait l’œuf en plein vol. Elle n’a pu se retenir. Les contractions de ses muscles ont expulsé un gros œuf qui a chu dans l’eau.
Il trône, à peine enfoncé dans le sable, posé au fond du bassin. Le petit poisson en frétille de plaisir. Il a eu son réveillon. Les poules de Noël ont pensé à lui, quelle chance !
Il tourne et retourne autour de l’objet. Un filet d’or s’échappe par le fendillement du chapeau.
— C’est bon ! Noël, merci ! Que c’est bon !
Le poisson rouge ne demande pas son reste. Il gobe son œuf, béatement, la bouche rivée à son trésor. Les branchies couvertes d’or, il s’endort, rassasié. Le Père Noël est enfin passé.

L’agitation est à son comble au poulailler. Le traineau a atterri en douceur sous les applaudissements nourris de l’assemblée. Flitox, tétanisé, est comme soudé au traineau. Il n’a pas la force de répondre aux vigoureux « Cocoricôôôoo » de Cracoucas.

Sur le chemin résonnent des cris d’enfants. La petite Éva, suivie de sa sœur Luna, s’époumone à appeler leurs parents.
— On a vu le traineau des poules de Noël ! Le Père Noël ! Le Père Noël !
Les petites dansent de joie, emmitouflées dans leur anorak rouge. Les pompons de leurs bonnets rouges roulent de droite et de gauche. Leurs petites bottes rouges laissent des empreintes de géant dans la neige fraîche.
Les ratons et les petits lérots, tamis sous le bambou, ne voient qu’elles. Ce rouge et ce blanc, les pères Noël sont là !
La nouvelle court comme une traînée de poudre. Les poules s’agglutinent à la porte. Les rongeurs se précipitent sur les hauteurs. Seul le poisson rouge est absent. Il fait des entrechats en rêve. Il sourit des bulles dorées. Lui, il a été gâté!

— Regarde comme elles s’amusent, avec leurs petits costumes ! Dit Mamie les poules, attendrie, à travers la fenêtre de la cuisine.
Oui, répond Papy. Elles ressemblent à des petits pères Noëls, les petiotes !
Mamie, affairée à ses fourneaux, en profite.
— Débarrasse-moi donc de ces restes, s’il te plaît. Les poules vont être contentes. C’est fête, tout le monde en profite, et les filles vont être ravies de les nourrir.
Voici Papy en charge de la plus importante des missions. Inconscient de ce qui se trame en face, il se dirige vers les petites avec sa caisse de coquilles d’huitres et son seau de bons restes.
C’est le jour de Noël, et Mamie les poules a mis les petits plats dans les grands. Les épluchures de légumes voisinent avec les têtes et les pattes de crevettes. Les carapaces de crabe dégoulinent de succulente mayonnaise. La peau du chapon est bien au rendez-vous. Bien grasse, bien craquante, comme l’aime Cracoucas.
Luna et Éva portent les restes de tartines pain entamées. Rien ne sera perdu.
Les petits pères Noëls rouges courent devant.
— Le traineau des poules de Noël ! Il est là ! Regarde, Papy… Les poules ont fait un traineau !
— Mais, oui, mes chéries ! Les poules en savent, des choses !
Papy se croit malicieux, mais en fait, il est trop grand. Il se dit que les gamines ont amené la luge au poulailler. Croyant leur faire plaisir, il entre dans leur jeu et pose une cagette vide sur le traineau improvisé.
— Il faut donner des cadeaux aux poules ! Allez, on remplit le traineau de bonnes choses !
Papy donne son seau de victuailles aux fillettes. Elles déposent religieusement les restes sur une épaisseur de journaux pour ne pas salir le bois, tandis que Papy distrait les poules avec les coquilles d’huitres.
Elles restent un peu plus, laissant leur grand-père aller laver le seau à la cuisine. Et là, elles assistent au plus magique de tous les réveillons.
Cracoucas lance le signal des festivités.
— Cocoricôôôoo !
Les poules et Flitox se jettent sur le festin. Des petites bêtes accourent de toutes parts. Des souris par centaines. Luna les reconnaît, mais il y en a des bien grosses ? Des noires et blanches ?
Poulnareff a le bec tout sale et le gésier tout rose de jus de crevettes. Coqueluche glousse de satisfaction. Le poulailler a un nouveau coq, le sien…
Elle picore les pieds des pères Noël en guise de remerciement. Tiens ? Les pères Noël gloussent comme elle ?
Les petites rient de joie quand Flitox leur montre comment il a soulevé le traineau. Les poules enfilent les harnais et font un tour d’honneur.
— Ho, Hé ! Hissez eaux !
— Ho, Eh ! Hissent hé, ho !
— Eau, et ! Hissez haut !
— Oh, Hé ! Hi, c’est haut !
Les rongeurs chantent à tue tête, rats, souris, lérots, accompagnés par la voix des petites.
C’est la liesse, le Père Noël est passé.

C’est le plus beau des réveillons, et qu’importe l’heure et le jour ! Les poules savent maintenant ce qu’est le partage.
Les habitants du bananier, du poulailler et des lauriers connaissent la force de l’alliance des pouvoirs de chacun. Ensemble, ils sont parvenus à leurs fins…

Cracoucas ne dira à personne ce qu’est un chapon. Flitox a encore du temps devant lui…
Papy se demandera longtemps comment les filles ont pu tresser ces harnais attachés à la luge.
Rêveur, il lui arrive de s’asseoir parmi ses poules et de leur parler, mais elles se bornent à glousser gentiment, bien sûr…

Les petites parleront encore longtemps de cette fête au poulailler, jamais, elles ne pourront l’oublier…

 

Zibelyne le 23 décembre 2012

LE CHAUSSON MEURTRIER

1. Chausson fatal

 

Julien rage. Fichu clebs ! Se faire pisser sur les pieds en rentrant du boulot par un tortillard du cul qui ne se sent plus de joie, zut ! Il a été dehors toute la journée et le petit asticot trouve le moyen de se secouer sur ses chaussures.
Consterné, Julien secoue le bas de son pantalon qui goutte sur ses chaussures en daim. La journée a été pénible, mais là, c’est le comble. Grommelant, il savate le chiot qui file sous la table et pose Éva dans son parc. Luna jette son sac d’école et marche à grandes enjambées.
Vilain Gribouille ! Crie Luna à quatre pattes, arcboutée aux pattes de l’animal couinant. Elle l’attrape et le tire sur la terrasse, le sermonnant comme le fait sa mère lorsqu’elle est en colère. C’est dingue comme les enfants miment, pour ne pas dire singent, leurs parents.
C’est l’heure du goûter. La petite jase, et la plus grande suçote un gâteau trempé dans un verre de lait. Julien sort de la douche et s’affale sur le canapé, ceinturé d’une serviette de bain.

Derrière la vitre, Gribouille penche la tête en frétillant de la queue.

 


La suite dans le livre, sortie janvier 2014 !

La Montagne Sans Nom

+ 18 ans

 

Il était une fois Cirella, une jeune dragonne fort aguichante. Elle s’était prise d’amour pour Gudule, un dragon de belle envergure qui nichait dans les contreforts de la Montagne sans nom.

L’endroit était fort lugubre. Les rats y pullulaient certes, et le rat est goûteux en dessert, mais peu osaient s’aventurer dans ces contrées arides.

Gudule s’y trouvait bien pourtant, fort de sa supériorité numérique, puisqu’il était le seul dragon à des kilomètres à la ronde.

 

Lisez ce texte dans l'onglet "Culicoquineries" réservé aux plus de 18 ans, merci !

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Commentaires: 4
  • #1

    Evy (mardi, 10 juillet 2012 22:49)

    Kikou ma zib

    Que de beau textes merci beaucoup pour tes participation tu es adorable c'est superbe bonne soirée et douce nuit bisous evy

  • #2

    Eve zibelyne (mercredi, 11 juillet 2012 13:23)

    Coucou Evy,
    Merci de me lire, j'apprécie beaucoup ! Bonne journée à toi et au prochain défi d'Evy ...
    Big bisous !

  • #3

    buytadalafilonline (mardi, 06 novembre 2012 18:37)

    I intended to draft you this bit of remark in order to say thank you once again for the pretty guidelines you've documented here. It is quite strangely open-handed of you to present unhampered precisely what a lot of people could have made available as an electronic book to generate some cash for themselves, and in particular now that you could have tried it if you decided. Those good tips likewise served as a good way to recognize that some people have a similar dream the same as my personal own to understand a whole lot more concerning this condition. I am sure there are lots of more fun periods ahead for many who take a look at your website.

  • #4

    Eve Zibelyne (mardi, 06 novembre 2012 21:08)

    Merci buytadalafilonline !
    Ravie de ta visite et de tes appréciations !
    Bonne soirée !


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Commentaires: 1
  • #1

    Evy (dimanche, 01 juillet 2012 22:44)

    Bonsoir zib c'est gentil a toi de participé au défi belle écrit merci beaucoup passe une bonne nuit bisous evy

 

  

2. Arachnide

 

L’hiver est proche. Les brumes de l’automne n’en finissent plus. Mornes crachins et boues qui collent aux semelles, il est temps. Le bois encore humide a du mal à brûler. Sombre. L’horizon est sombre, lourd de nuages. J’écrase une araignée.

Jack va et vient en d’incessants aller et retour, charriant derrière lui la boue du jardin. Il rentre du bois avant les grosses pluies. Il trace un sillon effrité de brindilles et de croutes humides sur le sol du salon. La brouette s’arrête à la porte, mais parfois je me demande s’il ne vaudrait mieux pas la rentrer dans la pièce.

Je peste en chassant du balai une armée de gendarmes. Ils ont élu domicile dans le tas de bois, bien abrités sous l’épaisse bâche verte. Ils vont courir partout pendant des jours et des jours, vilaines taches rouges et noires sur les murs blancs.

Le vent aigre souffle les feuilles qui s’amoncellent sur le tapis de l’entrée. Brr…

Sac à puces traverse la salle en trombe et file à toute allure vers le jardin, emportée par le courant d’air. Une volée de poils tourbillonne dans son sillage et un miaulement à vous donner des frissons me fait sursauter. La folle est passée dans les jambes de Jack. Aveugle, avec sa brassée de bois dans les bras, il lui a marché sur la queue.

 

La suite dans le livre, sortie janvier 2014 !

3. Un Chausson à la mer

 
– Tiffany ! Crie Étienne penché au balcon. Viens voir, une mante religieuse!
Tiffany se presse et trébuche dans le coin du tapis du salon. Le chausson plie souplement et rattrape la chute.
Sous la pluie bienfaisante, les tomates arborent de délicates fleurs jaunes, perlées de gouttelettes d’eau. Une mante religieuse agite férocement ses couteaux tranchants. Elle est énorme, magnifique, le vert tendre tranchant sur le vert jardin des feuilles de tomates. Les yeux exorbités, elle fait sa parade guerrière en vain. Elle est trop belle pour que quiconque lui veuille du mal.
La pluie a détrempé le sol. Une odeur de terre humide donne envie d’y plonger les mains pour gratouiller les herbes folles qui squattent les plantations.
Les chaussons sur l’herbe trempée prennent l’eau. Les pantoufles de la demoiselle suintent et floc, floquillent dans les flaques.
– Ah zut ! Tiffany vient de glisser sur quelque chose de gluant. Une limace, une grosse limace orange se promenant dans l’allée, vient de passer d’un monde à l’autre.

La suite dans le livre, sortie janvier 2014 !

4. Chaussons de Fées

 

L’herbe rose se lisse la robe. C’est le premier dimanche du mois de mai, le jour des Fées. Les brins d’herbe s’agitent, éperdus. Il ne faut pas être en retard en ce grand jour. Le vent aide à sécher la rosée après la toilette de la prairie. L’herbe s’ébroue sous la brise. Le sèche brin parfait leur tenue de ses chauds rayons. Tout est prêt pour la fête.
L’épinette ouvre ses corolles et les pâquerettes batifolent avec les primevères. Une joyeuse humeur court les chemins d’un bruissant babillage.
Les abeilles s’activent à emplir les coupes de miel doré et les champignons jouent à saute-mouton sur la pizza géante qui décore le centre de la prairie.
Une pizza grande comme un lac. Pas de ces pizzas ridicules dont les humains se nourrissent. Une vraie pizza, parsemée de champignons vivants et de porcelets roses. Des pieds de poivrons et d’aubergines jouent aux échecs avec les tomates ; les piments et les oignons officient dans le rôle des fous. Les asperges font le guet du haut de la tour Le roi canard dandine du magret et la reine poulette pose ses œufs.
Tout ce petit monde se retrouve installé en bon ordre, comme par enchantement.
Les oiseaux répètent leur concert et enchaînent les trilles avec entrain.

Il est dix heures. La Fée Carilloneuse frotte ses cloches et les fait tinter. Tout tintinnabule, et le sol dièse fait merveille. La Fée Cuistancière elle, s’affaire aux fourneaux. Elle sue, la pauvre, au dessus de sa grosse marmite. Elle s’éponge le front d’une feuille de marcassis. La clairière sent bon. Le fumet délicieux des fruits s’envole dans les frondaisons et vient titiller les narines de la Fée des Rêves.
La Fée des Rêves harnache son nuage de fils d’or, au cou de sa licorne. 

 

La suite dans le livre, sortie janvier 2014 !

5 Chausson garni

 

Une intense activité règne au jardin. C’est l’automne, et Mamie les poules retourne la terre avec sa bêche bleue. C’est une drôle de bêche aux dents tordues qui en fait, ne retourne pas la terre, mais la fait tourner sur elle-même, comme un manège fait tourner les chevaux de bois.

Mamie jette les mauvaises herbes aux poules, qui guettent derrière le grillage du poulailler. Elles raffolent de l’herbe verte, après les longs mois d’hiver où la terre leur donne peu.
Poulnareff couve, enfermée loin de l’agitation dans la poussinière. Thibaut lui apporte les précieuses herbes folles.

Tiens Poulnareff, mange ! Côôt, côôt !
Thibaut glousse à la perfection, songe Mamie les poules en se relevant péniblement. Le jardin n’est pas immense, mais elle fait tout à la main, pour préserver l’équilibre de la terre et attraper les vilains taupins, enfouis bien au chaud. De bons gros verts gris avec une bouche monstrueuse pleine de mandibules.

Thibaut joue avec avant de les lancer « aux filles » qui en caquettent d’envie. Les taupins essayent de le mordre et restent accrochés au bout de son doigt, avant de finir happés par un bec goulu.
C’est avec cette redoutable mâchoire qu’ils coupent en deux les racines de salade, et un taupin est une véritable malédiction dans un potager.


C’est l’heure du déjeuner. Mamie rentre préparer le repas. Mélanie rejoint Thibaut et ils fourragent des deux mains dans la terre fraîche pour trouver les vers juteux. Ils habitent en ville, et à douze ans, ils commencent à s’intéresser à cette campagne qu’ils connaissent sans jamais s’y être attardés. Génération télé, console et face de bouc !
Il a fallu que Mamie, trop occupée, cesse de leur faire faire des activités pour qu’ils prennent plaisir à jouer dehors et à se salir comme des cochons, au grand ravissement de leur grand-mère.

La suite dans le livre, sortie janvier 2014 !

La famille souris

L’automne sème ses feuilles rousses. Les voltigeuses tourbillonnent et se couchent en un tapis épais jaune, vert, rouge. Les plus vieilles deviennent marron et sèchent, abandonnées, avant de mourir.
Souricette en est bien triste. Elles sont si belles quand elles descendent de l’arbre.
Elle aime les feuilles encore soyeuses et translucides qui lui servent de parasol. En automne, le soleil encore chaud rase le sol et les arbres ne portent plus leur ombre sur la maison de Souricette.
Sa famille habite en bordure du champ de blé, le long du bois de châtaigniers. Lorsque tombent les feuilles, elles remplacent l’ombrage estival d’une épaisse couche mordorée qui tient le nid tempéré en toutes saisons.
Souricette saute sur les brunes craquantes. Crac, crac ! Souricette saute sur les feuilles mortes. Elles font un joli bruit en craquant. Elles parlent, comme si elles étaient encore vivantes.
– Chantez les feuilles ! Crac, crac ! C’est la chanson de l’automne.
Souricette pousse des petits cris de joie. Elle fait des glissades et disparaît sous un tas de feuilles humides. L’odeur délicieuse de l’humus lui chatouille les moustaches.
Miam ! Elle a déniché une mine de graines tendres à grignoter. Occupée à son repas, Souricette ne réagit pas tout de suite au bruit qui s’approche.

Et ce n’est que lorsque le sol se met à trembler qu’elle comprend le danger.
Le trac-tueur ! Le Graingousier, ce bandit qui dévaste le champ est en marche vers le nid !
Souricette affolée jaillit des feuilles et court à toutes pattes vers sa maison.
Le grondement de fait menaçant. Une drôle d’odeur traîne dans l’air.
Sur le chemin d’herbe, c’est l’affolement général. Les fourmis se replient en colonne vers le bois. Un faisan décolle et plaque Souricette au sol. Étourdie, elle repart de travers, les yeux pleins de poussière. Atchoum !
Une famille de lérots passe en trombe. Leur regard maquillé de noir les fait ressembler aux Rapetou, tout comme leur mauvaise réputation. Les lérots volent tout. Des truands, des brigands qui se défilent toujours comme des trouillards.
L’espace d’un instant Souricette pense à aller rafler leur butin, mais la pensée de ses petits frères et soeurs seuls au nid la rappelle à l’ordre. Il faut faire vite.
Les parents sont partis glaner des provisions pendant la sieste des petits. Ils doivent être encore loin, trop loin.
Souricette court à perdre haleine. Ses petites pattes sont écorchées par les cailloux de silex que le Graingousier jette dans les trous du chemin. Elle arrive essoufflée à ciel ouvert. Le sol tremble et la terre s’effrite. Une odeur forte fait tousser la petite souris.
Le bleu ! Le trac-tueur crache sa brume bleue. SOS !
Souricette est jeune et elle n’a jamais vu le bleu, mais elle sait. Tous les habitants du champ connaissent le bleu et le nom des morts au champ d’horreur hante les cauchemars des petits.
Tous aux abris !
Souricette saute de motte en motte. Elle voit le sommet de la bouteille qui abrite le nid. Une belle grosse bouteille transparente avec un bouchon jaune pour fermer la porte.
La famille l’a achetée à la musaraigne contre trois coquilles de noix emplies de blé. Mamita en a fait un nid douillet tapissé de confettis de tissu. Papitou lui, était très fier le jour où il a ramené la casquette du Graingousier emportée par le vent.
La visière faisait une belle pergola devant la maison et les habitants du champ tenaient la famille en grand respect depuis la conquête de cet inestimable trophée.
Souricette plonge sous la visière et se précipite sur le bouchon. La couverture de feuilles a protégé le nid du bleu. Le trac-tueur n’est pas loin.
Souricette déverrouille le crochet du bouchon et le rabat devant l’entrée.
Ouf, sauvés ! Le nez frémissant, Souricette fait une rapide toilette avant de rassurer les souriceaux. Les bébés n’ont que trois jours. Huit petits aux yeux encore fermés, incapables de mettre seuls le nez dehors.
– Mais où peuvent être Mamita et Papitou ?
Souricette tremble de peur. Est-ce elle qui tremble, est-ce la terre qui tremble ? Elle ne sait pas.
Le bruit s’approche, terrible, le trac-tueur rugit. En tournant au bout du rang, les rampes se tarissent l’espace d’un instant et recrachent sur le prochain rang le poison mortel.
Souricette a peur. Mais combien de morts veut-il ce Graingousier ? Quand cette guerre cessera-t-elle ?
Soudain, une idée germe dans son petit cerveau. Ses oreilles se dressent et son museau se retrousse.
Souricette sourit. Elle va attaquer ce trac-tueur !
Les histoires de la Grande Guerre ont bercé ses premiers mois. À l’automne dernier, le grand-père Moustache, un rat fort sage avait reçu le grain d’or pour sa bravoure.
Pendant la pause du Graingousier, il avait escaladé la monstrueuse écraseuse qui broyait toute vie sur son passage. Plus vite que le vent il avait escaladé les crampons et s’était infiltré dans l’enfer puant du rugissant trac-tueur. Et il avait rongé, rongé les fils et les tuyaux à s’en user la mâchoire.
– De la purée, de la bouillasse, du vermicelle ! J’ai tué le monstre ! racontait à la veillée le grand-père Moustache en lissant sa longue queue. Le Graingousier a piqué une colère énorme, mais il n’a jamais su qui était le coupable.
La fouine a été soupçonnée et traquée, mais elle était bien trop fine pour se faire prendre et le champ a connu la paix jusqu’au printemps.
Mais hélas, le trac-tueur n’était que blessé et il était revenu aussi fort qu’avant sa mise à mort.
Le conseil des sages avait longuement débattu, mais personne n’avait osé prendre la place de grand-père Moustache. Le vieux rat avait les dents trop limées pour tenter l’exploit une deuxième fois, et il avait un affreux souvenir du goût infâme de l’essence qu’il avait bue, malgré lui.
Il lui en restait des aigreurs d’estomac qui le faisaient roter sans cesse.
Burp ! Répondait-il aux vieux sages en hochant la tête. Et on en restait là, à palabrer et à entendre par le menu comment Moustache avait anéanti l’ennemi.
Souricette écoutait avec délectation les débats des sages. Ses rêves étaient peuplés de fils et de tuyaux qui crachaient du sang rouge et puant. Elle en avait tellement entendu qu’elle était certaine de connaître tous les secrets du trac-tueur.
Mais elle ne fera pas comme grand-père Moustache. Elle est si petite que le repas du Graingousier serait terminé avant qu’elle ait pu tuer le monstre. Non, elle attendra la nuit pour aller à la ferme.
Mamita arrive enfin et Papitou la suit bientôt.
Le trac-tueur a cessé de rugir. Le Graingousier est rentré à la ferme.
Dans le champ, on compte les disparus.
Monsieur Faisan cherche sa femme et ne trouve que ses plumes. Le père Lérot fulmine. Son nid est détruit et ses trésors dérobés sont réduits en bouillie.
La famille Caille est la plus touchée. Pas un petit n’en a réchappé et les parents pleurent à grosses larmes sous l’aile de monsieur Faisan.
La colonie des rats a subi des pertes, comme celle des souris établies dans le blé.
Mamita remercie le ciel d’avoir acheté une maison au bord du champ. Il faut faire du chemin pour aller chercher de la nourriture, mais leurs efforts sont récompensés.
Les habitants du champ se couchent le cœur lourd de chagrin et de craintes. Le trac-tueur reviendra demain.
Mamita et Papitou, épuisés par tant d’agitation, se sont endormis avec les souriceaux.
Souricette sort sur la pointe des pattes et referme doucement le bouchon de la bouteille.
Silencieuse elle file sous le couvert des herbes.
Monsieur Hibou hulule déjà. Ses yeux perçants trouent la nuit comme la lampe de Graingousier. Il est en quête d’imprudentes comme Souricette et il est fort fâché.
Il a mal dormi à cause du bruit et il n’y a personne à se mettre dans le bec !
Monsieur Hibou hulule et s’envole chasser vers le bois.
– Scrongneugneu ! Je vais bien trouver un petit mulot qui traîne. J’ai faim !
Le souffle puissant des ailes ploie les herbes folles. Souricette sent sa dernière heure venue. Mais non, le hibou est déjà loin, en quête d’autres proies.
Elle trottine, soulagée, et file sur le chemin, son ventre tout mouillé de rosée.
La route est longue et semée d’embuches.  Elle peine à gravir les ornières boueuses, mais enfin, elle voit se dessiner les bâtiments de la ferme.
Tout semble dormir.
Le chien ronfle dans son bidon de ferraille. Il rêve d’os à moelle et de gâteaux à la chantilly en se grattant les puces.
Mais ce n’est pas lui que Souricette craint. C’est de Poilu, le vieux matou de Graingousier.
Il a mangé tous ses frères et sœurs. Elle est la seule survivante de sa portée. Le fauve a avalé Souriah sous ses yeux. Il a joué avec la pauvrette, la lançant dans les airs de sa patte de velours, comme une balle, avant de planter ses griffes acérées dans son dos.
Souriah a crié, elle s’est battue jusqu’au bout, mais Poilu a été sans pitié.
D’un coup de croc il a écrasé sa tête et il l’a gobée comme une mouche.
Grand-père Moustache disait toujours : si le chat vous attrape, ne bougez pas, ne criez pas ! Faites le mort, et dès qu’il détourne son attention, fuyez dans un trou et n’en sortez pas jusqu’au lendemain !
Souriah, transie de peur, avait oublié ses sages paroles que Souricette se répétait en avançant avec prudence.
La grange se dressait devant elle, gigantesque dans l’ombre de la nuit.
La petite souris est brave, mais sage. Elle va de cache en cache, sans se découvrir. Elle attend, repart, le museau aux aguets.
Pas de chat, la voie est libre. Le trac-tueur dort, sas bruit. Souricette s’élance et escalade le caoutchouc des énormes pneus. En un instant, elle se glisse dans le moteur.
L’odeur est insupportable.
–Pouah, j’ai mal au cœur... Souricette se frotte les moustaches et éternue. Le souvenir de l’attaque de la veille lui donne du courage.
À l’attaque !
Les dents en avant, Souricette grignote, grignote. Elle se souvient des histoires de grand-père Moustache. Il faut commencer par couper les petits fils de couleur un peu partout, et finir par les tuyaux qui donnent à manger au trac-tueur.
Souricette lime, lime, mais le cuivre des fils lui donne des frissons dans le dos, comme la craie sur le tableau noir de l’école.
La nuit avance. Depuis deux heures, Souricette coupe les fils, mais il en reste tant.
Soudain, elle sent un regard fixé sur elle. D’un bond elle se retourne, toutes dents dehors. Elle se rend compte qu’elle saigne, piquée de partout par les fils pointus.
Un vrai déguisement d’Halloween, Souricette la vampire ! D’un air féroce, elle toise le spectateur.
Un rat, un étranger d’on ne sait quelle famille la regarde avec étonnement.
– Mais que fais-tu donc ? La questionne-t-il ?
Souricette attend avant de répondre. Bah, il n’a pas l’air méchant.
Je vais tuer le trac-tueur ! répond bravement la petite souris.
Le tuer ? Mais pourquoi ? Que t'a-t-il fait ?
Souricette secoue la tête.
– Mais d’où sors-tu donc ? Où habites-tu ? Ce monstre a tué presque tous les habitants du champ de blé, et tu me demandes « pourquoi ».
Le rat la regarde, éberlué.
– Ah ça ! Moi qui dors tous les soirs dans la cabine sans me méfier ! Qui aurait cru que c’était un assassin ? Décidément, on ne peut faire confiance à personne. J’avais bien entendu dire des choses sur ce qui se passe aux champs, mais jamais je n’aurais cru que je vivais à côté d’un tueur.
– Attends, je vais t’aider à lui régler son compte.
Le rat se dresse sur ses pattes arrière. Songeur il se lisse les moustaches.
S’il ne peut plus bouger, je pourrai m’en servir de maison autant je voudrai. Mmh, c’est parti, à l’hallali !
Et Ratougras, c’est son nom, se met à ronger, à ronger de ses grandes dents acérées.
Souricette ronge avec entrain. Elle a repris courage. À deux, on se sent plus forts !
L’aube approche et les deux nouveaux amis n’en peuvent plus. Ratougras s’est ébréché une dent et de ronger sans fin, ça lui donne faim !
Le trac-tueur ressemble à la fermière quand elle se lève le matin. Hérissé de fils de cuivre déchiquetés, il est hors d’état de nuire.
Les habitants du champ peuvent dormir tranquilles.
Il ne va pas faire bon à rester dans le coin aujourd’hui, dit Souricette.
Sur ! Graingousier va tout casser et malheur à qui se fera prendre. Je n’avais pas pensé à ça. Mais où vais-je dormir ce soir ?
– Viens au champ avec moi ? Tu feras connaissance avec tes cousins et on donnera une grande fête pour célébrer la mort du trac-tueur !
Ratougras est tenté. S’il reste, il va devoir se cacher en attendant que l’orage passe. Et après tout, il reviendra après la tempête.
– Une grande fête, dis-tu ? D’accord, allons-y. Vite, avant que Poilu ne montre ses moustaches. Il quitte le coin de la cheminée quand Graingousier se lève, partons, vite !
Les deux compères dévalent les crampons du pneu et courent à perdre haleine dans la cour de la ferme. Souricette peine. Ses petites pattes ne peuvent rivaliser avec celles de Ratougras qui file comme une flèche malgré son gros ventre de rat d’appartement.
Saute sur mon dos ! Ordonne Ratougras. La petite souris ne se le fait pas dire deux fois. Solidement accrochée au cou du rat, elle regarde autour d’elle.
La lumière vient d'éclairer la maison. Son cœur se serre.
Graingousier est levé ! dit-elle d’une voix chevrotante.
Ratougras passe en trombe sous le nez du chien endormi. Il court, il court, il court plus vite que son héros Jazzyrat.
Dans la cour de la ferme, Poilu s’étire et baille avant de partir en chasse. Il fait le tour du jardin en quête de musaraignes bien fraîches et en croque une petite en mise en bouche.
– Miam ! Allons chasser plus gras.
Poilu passe devant la grange et s’arrête net. Cette odeur… Ça sent, voyons, ça sent le rat. Mais il y a un autre fumet. Ça sent la souris des champs ! Cette odeur de terre, mais oui, une souris est passée ici.
Doucement, tout doucement, Poilu se glisse dans la grange. Caché derrière un ballot de paille, il observe. Il attend. Un chat, ça prend son temps !
Rien ne bouge. Poilu sort de sa cache et inspecte les lieux.
– Des crottes de rat ! Des crottes de souris ! Miam, je vais me mettre ces deux imprudents sous la dent, se réjouit Poilu.
L’odeur mène au tracteur, mais de rat ni de souris, que nenni, il n’y a point. Poilu renifle le moteur. Sur ! Ils sont passés par là, quand le chat est parti, les souris dansent !
Poilu se maudit d’avoir couché bien au chaud. Mais il se fait vieux, et les nuits sont fraîches. Dégoûté, le chat tourne les talons et va se frotter aux jambes de la fermière pour quémander sa pitance.
Un rugissement lui donne le hoquet. Il a avalé de travers. Ce Graingousier ne respecte rien. Poilu déteste qu’on lui gâche son repas.
Au loin, dans le chemin, les fugitifs ont entendu le hurlement. Leur forfait est découvert, mais ils sont hors d’atteinte.
Souricette pousse un piaillement qui ressemble à un cri de guerre. Scrikkk, scrikkk !
– On a gagné ! Ratougras couine d’allégresse. Ce champ sent diablement bon, et du bon grain jonche le sol. Il a bien fait de venir.
Le soleil se lève et le champ bruisse d’activité. Les têtes étonnées se lèvent. Que fait donc Souricette sur le dos de ce rat ?
– Cette jeunesse ne sait pas se tenir ! déplore Madame Grivoise en se lissant les plumes. De mon temps…
Le rouge-gorge lui, les a vus arriver de loin. Il a vu la folle chevauchée traverser la ferme. Il a entendu le cri de rage de Graingousier.
Nul doute que ces deux-là ont commis quelque crime pour détaler de cette manière.
D’un coup d’aile il quitte son tronc vermoulu et vole vers la bouteille. Il n(est pas commère, mais il ne peut se retenir d’alerter tout le monde sur son passage.
– Souricette ! Souricette arrive avec un gros rat ! Réveillez-vous fainéants, réveillez-vous !
Les têtes endormies sortent des terriers. Les lapins battent l’alarme et les étourneaux volent en rase-mottes espérant quelque bénéfice à cette affaire.
Le raffut finit par réveiller Papitou et Mamita.
– C’est quoi encore ? Vite, les enfants, vite, aux abris !
Ne dis pas n’importe quoi Mamita, on y est aux abris, grogne Papitou mal réveillé.
Papitou sort le museau et se retrouve propulsé dans la bouteille d’un coup de museau. Pas du sien, un gros museau lui est rentré dedans…
Souricette n’a pas freiné à temps l’élan de Ratougras. Il a bien essayé de s’arrêter, mais il a ribouldingué et a fini en glissade sur l’herbe mouillée. Et paf ! Il s’est embouteillé le nez sous la visière juste au moment où Papitou sortait.
Sonné, Papitou contemple ce museau rose qui obstrue l’entrée du nid. Quel culot !
La famille s’est réfugiée au fond de la maison. Les petits pleurent et Mamita a tourné de l’œil.
– Corne de papillon et fiente de mouche !
Le perturbateur secoue la maison pour se dégager. Papitou s’apprête à mordre l’intrus, mais la vision de Souricette sur le goulot le fige comme une statue de glace.
Que dit-elle ? Elle crie, mais il n’entend que le souffle de ce vilain museau.
Mais que font tous ces gens autour de la maison ? Est-ce la fin du monde ? Les petits ont cessé de pleurer. Ils ne bougent plus. Papitou ne sent plus ses pattes, c’en est trop pour lui. La tête lui tourne, il manque d’air. Il s’évanouit au moment même où Ratougras arrache son museau meurtri du goulot de la bouteille.
D’un bond, Souricette traîne les occupants à l’air libre. Les petits toussent et Mamita ouvre les yeux. Papitou est encore au pays des rêves malgré les chatouilles de Souricette.
Ratougras, vexé qu’on ne s’occupe pas de lui, tourne le dos. Il a mal au museau et son ventre est tout râpé d’avoir frotté le sol. Il se masse le bidou et oups, il pète. Il pète d’un pet sonore et puant comme s’il avait mangé une poubelle entière.
D’un bond, Papitou est debout, hagard.
C’est la guerre ! Les bombardements ! Les gaz asphyxiants ! Rentrez tous, mais rentrez !
Papitou ne parle plus. Il réalise qu’il est dehors, que tout ce monde autour de lui, ça n’est pas normal.
– Bah quoi ? Je ne l’ai pas fait exprès. Dit Ratougras penaud.
L’assemblée éclate de rire et Souricette saute au cou de Ratougras.
Voici notre sauveur ! Clame-t-elle, perchée sur son dos. On a tué le trac-tueur !
– Rué le trac-tueur ? Roucirette ! Que faisais-tu redors ?
– Papitou, ça va ?
– C’est quoi cette tristoire de tructar ? Nom d’une frite en pois !
L’assistance balance entre le rire et la consternation. Voilà que Papitou ne tourne plus rond. Les mots font de la purée dans sa bouche.
– Papitou ! La guerre est finie. Cette nuit j’ai rongé les fils comme Moustache, et Ratougras est venu m’aider. À nous deux, on a tué le monstre. Mais Ratougras doit se cacher maintenant. Écoute…Écoutez tous !
Le silence plane sur le champ, silencieux comme le vol de la buse qui fond sur une souris.
Au loin, on entend les beuglements de Graingousier qui cogne, cogne, cogne dans les murs, les portes, les arbres.
Les habitants regardent les compères avec respect. Ainsi, quelqu’un a relevé le défi. Ces deux petits rongeurs ont réussi là où nul n’aurait osé rêver réussir.
Mamita, émue, serre sa Souricette dans ses pattes et lui lèche le museau.
Papitou est fier, fier, mais il n’ose pas ouvrir la bouche de crainte de dire encore des bêtises. Droit debout sur ses pattes arrières, il se trémousse en dansant une gigue Irlandaise, entraînant Ratougras qui se dandine le bedon comme il peut.
C’est la fête ! Dansons ! Dansons la gigue ! Dansons la gigue de la victoire !

Papitou a retrouvé la parole et la farandole endiablée s’élance à travers le champ dans l’allégresse.
Le vieux Moustache qui arrive en retard n’en revient pas. Ils étaient deux, marmonne-t-il en bougonnant. Deux ! Moi, de mon temps…
Il se tait. De son temps, il aurait bien aimé avoir un peu d’aide. Frétillant de la canne, il rejoint la danse et le champ danse avec la troupe au sont des grillonneurs et des cigalionnes qui s’en donnent à cœur joie.
La fête durera toute la matinée, entre danse et plateaux de blé tendre, amourettes en fleurs ou trèfle parfumé. Le nectar de fleurs coule, coule, coule dans les coupes.
C’est Moustache qui décore les héros de l’ordre du grain d’or sous les hourras.
Les fleurs sauvages sèment leurs pétales sur le passage de Souricette et Ratougras.
Les souris et les rats forment une haie d’honneur, moustache au garde à vous et queue dressée.
Les oiseaux les éventent de leurs ailes. Les lièvres et les lapins frappent de la patte. Même les vers de terre ne craignent pas de sortir la tête. C’est la trêve, l’heure du partage et de la joie.
Ratougras et Souricette, fatigués de leur longue nuit, se sont assoupis blottis l’un contre l’autre. Tous se repaissent des bonnes choses qui poussent dans le champ et dansent.
– C’est la Fiesta !
Pas de trique fait l’animation.
– Agitez vos oreilles ! Et on fait tourner les sarriettes !
Les tambours scandent la danse et ils dansent, dansent.


Toute la journée on f’ra la fête
La Fiesta, la Fiesta
On se remplira les joues, la tête
La Fiesta, la Fiesta !
On boira du jus de salsepareille
La Siesta, la Siesta
Et on se couchera des étoiles en tête
La Siesta, la Siesta…

Il faut dire que Pas de trique est un champion. Ce lapin rebelle, échappé des clapiers de Graingousier, y a appris la musique. Mais il ne supportait pas de vivre enfermé sous les ordres d’un inculte imbécile.
Alors il a repris sa liberté et n’obéit qu’à lui-même. Son plus grand plaisir est de donner de la joie et de l’amour, Pas de trique, c’est pas rien !
Le soleil à midi, contemple, étonné ce joyeux spectacle fort inhabituel. Tous sont épuisés et la danse se fait lourde.
Le soleil a compris. L’heure de la sieste arrivera plus tôt aujourd’hui.
D’un clignement de rayon, il appelle les nuages qui se promènent. Les curieux arrivent en masse et forment un cercle d’ombre au-dessus du champ.
La danse et les chants s’apaisent. Pas de trique lance la chanson qui signale la fin des festivités. La Fiesta reprendra un autre jour, il est temps de dormir.
Ce jour là restera marqué dans le calendrier des saisons comme jour de fête.
Le trac-tueur restera de longs mois dans la grange et dans le champ, la nature reprend ses droits.
De nombreuses colonies y ont emménagé. Des coccinelles, des scarabées dorés, des cétoines, des araignées, des hérissons, sont venus rejoindre rats, souris, lièvres et lapins.
Les lérots Rapetous ne savent plus qui voler tant il y a abondance.
Graingousier ne peut plus bombarder de bleu, ni détruire les nids de son labour. Il paraît même qu’il veut vendre ses terres pour en faire un parc naturel.
Nos petits héros, Moustache, Souricette et Ratougras ont remporté la victoire.
Pas de trique le troubadour chante sans fin leurs louanges au pays de cocagne qui est le sien.
Si vous le rencontrez, parlez lui de Ratougras et de ses amis, il vous chantera la Fiesta, la Fiesta qui s’est déroulée ce jour-là.

 

Zibelyne le 22 novembre 2011

 

En hommage à Coluche, un conte de Noël

Un conte de Noël, pour grands ou petits !

 

 

Mais qui a volé le réveillon ?

 

 

Brr, brr, crotte de rat!
Pscht, pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr, Rrrr, gla, gla, gla.

Poubelle se frotte les moustaches. Atchâ ! Qu’il fait froid.
– J’ai les pattes toutes engourdies. Atchâââ….
Poubelle a les moustaches humides et le bout du nez gelé. Vite, cherchons une cachette abritée pour ronronner en paix ? La rue est noire, presque verte, comme un crapeau de terril. Poubelle en a assez de cet hiver qui ne fait que commencer.
Mais les poubelles sont pleines de bons restes. Les femmes préparent les fêtes de Noël et donnent de bons morceaux, même pas pourris.
Bien sur, elles donnent moins que du temps de l’arrière grande chatte Lulu Elles ne font plus cuire le fumet de poisson qui embaumait les arrières cuisines. Le magasin le prépare pour elles et les belles arêtes de Noël deviennent rares. Poubelle sait bien qu’il n’y perd pas au change, après les fêtes, les queues de langoustines, crevettes, homards vont lui emplir la panse...

Ce qu’il adore, c’est le bon gras jaune du foie gras de canard. La mère Poulard lui en donne de beaux morceaux dans une petite écuelle. La mère Poulard vend des volailles délicieuses. Elle les expose en vitrine, la tête cachée sous l’aile comme si elles dormaient.
Poubelle s’en pourlèche les babines, assis sur l’avancée de la vitrine. Les clients rient de le voir gratter à la vitre, et parfois, ils lui jettent un petit bout de jambon en sortant.

C’est que Poubelle est un beau chat. Une magnifique bête au poil blanc comme la neige. Les dames fondent devant ses yeux bleus et les enfants caressent son poil tout doux. Poubelle vit dehors, depuis que sa maîtresse est partie. Elle a oublié de l’emmener dans le camion, mais elle lui a laissé son panier au bas de l’immeuble. L’ennui, c’est que le méchant concierge l’a jeté.
Alors Poubelle a rejoint la Confrérie des Chats Hurlants. Pas besoin de changer de quartier et de fournisseur. Qui aurait pu soupçonner que ce beau matou tout propre vivait seul, abandonné, en rêvant de son canapé ?
La mère Poulard peut être.
Mais ce soir, Poubelle se sent bien seul dans le froid mouillé. Les vitrines brillent. Les maisons habillées de couleurs se remplissent de bruits joyeux.
C’est le soir du réveillon.
C’est le deuxième réveillon que Poubelle passe dehors. Il est triste. Sa maîtresse lui manque, les bons petits plats aussi.
Une boule de poils le heurte en miaulant.
– Carcasse !
Une chatte efflanquée court derrière la boule. Elle s’arrête net en voyant Poubelle.
– Qui est-tu ? Je ne te connais pas ?
La chatte souffle. – Pscht, pscht…

Poubelle répond par une chanson :

Brr, brr, crotte de rat!
Pscht, pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr, Rrrr, gla, gla, gla.

Surprise, la chatte cesse de souffler. Le chaton curieux dresse ses oreilles pour apprendre la chanson.

Brr, brr, crotte de rat!
Pscht, pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr, Rrrr, gla, gla, gla.

La glace est brisée, et La Grise conte son histoire, la même que celle de Poubelle, ou presque. Elle etait cachée dans le hangar à bateaux depuis quelques mois, avec ses petits.
Il ne lui reste que Carcasse, les autres ont disparu mystérieusement.
La faim et les odeurs du réveillon l’ont fait sortir de son abri, mais Carcasse ne tient pas en place.

Brr, Brr, caca de rat ! chante Carcasse en sautillant.

Un bruit de porte. Une dame sort une poubelle. Vite, les trois félins se précipitent. Les petites pattes de Carcasse s’activent à déchirer le plastique.
– Le petit se débrouille bien ! admire Poubelle qui trie dans le sac éventré.
Déception… Le sac sent bon, mais il ne contient que du plastique et des brics de carton. Carcasse lèche un sachet de sauce. Rien d’autre que des plats préparés, pas de bonnes choses.
Tristement, les chats errent de maison en maison. Pas de gras doré, pas de crevettes odorantes, pas d’os à rogner.

Maman ? Qui a volé le réveillon ? questionne le chaton.

La Grise ne sait pas quoi dire, elle ne comprend pas.
D’autres maisons, des chants, mais pas de réveillon.

D’un bond, Poubelle est sur une fenêtre. Il en aura le cœur net ! Les gens causent fort. Ils boivent ce vin qui a la couleur du miel, ce vin qui les rend fous. Sur la table, des gâteaux secs, du saucisson et des olives. En cuisine une femme s’affaire. Elle ouvre quelques huitres.
Maigre pitance pour des matous mais ce sera toujours ça de pris. En fin de soirée ils pourront revenir lécher les coquilles. Pas de bonnes odeurs. Mais que vont-ils manger ces gens ? Poubelle voit bien le petit rôti de porc sur la gazinière, mais il y en a juste pour trois chats de bonne taille, pas pour des gens ?
La fenêtre d’à côté ne fait entrevoir que la solitude d’un grand-père assoupi devant la télévision. Ici, pas de réveillon.
Poubelle commence à s’inquiéter. Mais aussi, pourquoi décorer les maisons s’il n’y a pas à manger ?
Non, ils ont du se tromper de jour ? Pourtant, les gens passent avec des paquets.
Des petits paquets, se dit le chat blanc. Tout à sa faim, il na pas fait attention. Il y a moins de cadeaux.
Poubelle se rappelle ce que la télévision du Bar Tabac raconte. Les gens sont devenus pauvres. Déjà, il y en a qui dorment, comme eux, dans les poubelles.
– Ah non ! Si personne ne remplit les poubelles et que les gens viennent y habiter, ça ne va pas !
La Grise reste interdite. Elle n’avait jamais cru ça possible. Ce que dit Poubelle est effrayant. Vivre avec les gens, bien sur, mais si personne ne remplit les poubelles, que va devenir Carcasse ?
Une idée horrible lui traverse l’esprit. – Si les gens n’ont plus rien, crois-tu qu’ils nous mangeront, comme les poules et les lapins ?
Poubelle miaule de fureur et de crainte. Il ne faut pas que les gens deviennnent trop pauvres. Il en va de leur survie.
Manger du chat ? Oui, ils en sont capables. Ça vous caresse un jour et le lendemain vous êtes dans la casserole en miroton.

Brr, brr, crotte de rat!
Pscht, pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr, Rrrr, gla, gla, gla.

Carcasse chante en jouant avec une tomate roulée du sac plastique. Poubelle redresse la tête. Non, il faut garder espoir, rien n’est perdu.
Continuons, ordonne t-il.
Le froid se fait glace, les cristaux de givre ornent les fenêtres.
Les trois chats se sont enfoncés dans l’ombre d’un parc, à la recherche de quelque souris égarée.Une immense maison allumée de toutes parts attire nos compères. Ici, la fête est fastueuse. Poubelle n’en revient pas.
Des jambons, des buissons de langoustines, des langoustes décorées de papillotes blanches, des rôtis juteux, longs comme une limousine, des chappons, des pains de lotte…
Les chats hument avec délice les délicieux fumets. Ainsi, c’était donc ça. La fête, c’est ici et ces gens ont du inviter tout le monde pour déguster ces somptueuses victuailles. Les braves gens !
Les matous vibrent d’envie. Ils se dirigent vers les cuisines, persuadés de recevoir un plantureux festin de Noël.
Las, quelle ne fut pas leur terreur !
De hideux cerbères affublés de livrées ridicules se jettent sur eux et les chassent à coups de matraque.
D’énormes Bas-Rouges, de gigantesques Dogues se lancent à leur poursuite dans une ronde infernale. Les Rottweiler arrivés en renfort hurlent et déchirent les arbres de leurs crocs féroocement accérés.
Les matous n’ont du leur salut qu’à la proximité du parc. Les troncs généreux ont tendu le dos pour les réfugiés , et les basses branches ont fouetté les chiens. Carcasse a pissé de peur. Poubelle n’en dira rien, mais il s’est fait dessus aussi.
Les molosses ont hurlé, hurlé. Ils ont assailli les arbres en vain. Le refuge était sur.

Lorsque les gens, fatigués de leurs cris, les ont renfermés, nos amis n’ont pas demandé leurs restes…
Ce parc était maudit. La lanterne de bienvenue n’était que mensonge. Ici, pas de partage.
– Ces gens ont volé le réveillon ? Dis maman ? Ils ont volé toute la nourriture ?
Oui mon petit chéri, je crois que tu as raison. Ces gens n’ont pas de cœur. Ils ont out pris pour eux, alors qu’il y en aurait pour tous. Ce sont eux les coupables.
Parvenus à la poterne, Poubelle se chauffe sous la lanterne en réfléchissant. Il a sur les babines le goût des chappons. On ne va pas partir sans se battre, ce n’est pas juste.
D’un bond, il saute sur la poterne et regarde au loin. Ses yeux perçants trouent la nuit.
– Il y aura réveillon cette année. Restez en sécurité, je sais comment faire pour éviter les laquais et les chiens.
Et Poubelle court à toute allure jusqu’à la grande bâtisse. D’un coup de dent, il arrache un gros nœud doré et l’enroule autour de son cou. Les vitre lui renvoient l’image d’un chat de bonne famille habillé pour la fête. Parfait ! On va voir ce qu’on va voir !

Poubelle rentre fièrement par la grande porte, ronronnant aux jambes d’une dame emmitouflée de fourrure aussi blanche que lui, au nez et à la barbe du laquais qui le croit accompagné. Il fait du charme de ses yeux bleus, récolte caresses et juteux morceaux de roi. Le réveillon est succulent et il se régale sans retenue.
Mais il faut faire vite avant que quelqu’un ne s’alerte. Un câlin par ci, un ron ron par là, et il se glisse sous les tables. Les convives parlent et boivent des bulles. Quelle drôle d’idée. Des bulles, ça ne nourrit pas.
D’un bond, il escamote un chappon. Un autre bond, une langouste, puis deux, un rôti, de la charcuterie descendent sous la table. Un chat blanc sur la nappe immaculée, qui y prêterait garde ? Personne ne l’a vu. Plus vite que l’éclair, Poubelle a amassé un butin de roi.
Il va et vient, et sort faire pipi, passant comme un prince devant le sbire des méchants qui ne se questionne pas. D’un miaulement, il appelle ses compagnons qui accourent. Une étole pour La Grise, un pompon doré pour Carcasse, et la famille entre dignement dans la fastueuse demeure. Enfin presque, car Carcasse fait une glissade extraordinaire sur le sol brillant comme une patinoire.
Comme par enchantement, il s’attire les bravos des dames qui s’extasient devant cet adorable chaton.
– Mais très chère, vous savez bien ! C’est le petit chat de Carlotta. Elle m’a fait voir sa photo l’autre jour.
– Qu’il est mignon, un amourrrr de peluche !
– Oui, je crois qu’il a le même âge que sa petite fille, c’est un cadeau de la Reine…
Chacun regarde Carcasse avec toute la considération qui lui est due.
La Reine ! Carcasse en a le tournis et s’étale à nouveau pour le plus grand bonheur de La Grise et de Poubelle qui profitent de l’attroupement pour esbigner les provisions sous le nez du laquais qui n’en peut mais.
Comment pourrait-il pourchasser de nobles animaux offerts par la Reine ?
En fait, il rit sous cape de voir ces imbéciles se faire chaparder les victuailles de leur réveillon par leurs chats, et il a résolu de ne rien dire.
Un miaulement donne le signal de la poudre d’escampette et Carcasse fait la boule de poils jusqu’à la porte dans l’hilarité générale.
Les gens sont retournés à leurs bulles. Les laquais ont remplacé les victuailles sans mot dire, et les chats s’en sont retournés tranquilles le ventre bien rebondi .
Mais les méchants méritaient punition. On ne vole pas impunément le réveillon !
Et de toutes parts, la nouvelle a couru. Les chats sont arrivés de partout. Tous les chats perdus, les abandonnés, les galeux, sont venus.
Les inutiles décorations arrachées aux arbres ont paré leur maigreur et leurs puces de mille feux et la horde grimée est entrée en masse dans la grande salle du festin.
Oh, ils n'ont pas fait les yeux doux !
Oh, ils n’ont pas amusé la galerie !
Ils se sont rués sur le buffet, dérobant les plus beaux morceaux, piétinant les saumons, arrachant les cuisses des poulardes.
Miaulant farouchement, ils ont arraché les nappes blanches.
Ils se sont agrippés aux belles robes des dames qui tentaient de les arrêter.
Ils ont lacéré la peau des hommes qui s’interposaient.
Ils ont brisé les bouteilles de bulles, mais les bulles ne bullaient plus sur le sol glacé. Ils ont arraché les tentures et emporté tout ce qui était consommable sans que les gens puissent les en empêcher.
En quelques minutes, tout était dévasté. Les chiens endormis dans leur chenil ne pouvaient être lâchés dans l’affolement hystérique des gens.
La caméra filmait sans états d’âme le carnage du réveillon.

La horde des chats eut tôt fait de sortir du parc des maudits, et toute la nuit, la fête batit son plein dans le hangar à bateaux.

C’est le plus beau des réveillons ! miaulaient les chats galeux.

Brr, brr, crotte de rat!
Pscht, pscht,frrt, frrt, frrt, atchâ!
Rrrr, Rrrr, gla, gla, gla.

La chanson de Poubelle a fait le tour de la ville.
C’est la chanson des galeux, des exclus, des laissés pour compte, des fainéants, des crasseux, des drogués, des alcooliques, des pédés, des femmes, des parasites, des jeunes, des vieux, des artistes, des taulards, des gouines, des apprentis, des Noirs, des piétons, des Arabes, des Français, des chevelus, des fous, des travestis, des anciens communistes, des abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les voleurs de réveillon.
C’est la chanson de l’espoir, celle qui nous dit que dans l’adversité, tout est possible, et que les gueux ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

En hommage à Coluche, parce qu'on ne doit pas baisser les bras.

Zibelyne le 19 12 2011

melanie
(mercredi, 04 janvier 2012 20:32)
 

Supprimer commentaire
Certain? Oui / Non
il est bien et Ah Ah Ah la photo du mr

Les vagissements du crapaud

Depuis la nuit des temps, les crapauds pensent que les princesses sont des filles faciles.

Je dirais même plus, depuis la nuit des temps les crapauds pensent que les filles faciles sont des princesses !

 

 

Les vagissements du crapaud[1]

 

 

La pluie ruisselle dans le puisard boueux. La mousse verte n’éponge plus le sol. Crapouilleux patauge avec délices dans la boue visqueuse. Il se frotte les pustules et s’enduit de boue fangeuse.

Ah ! Quel bonheur ! Cet été qui n’en finissait pas l’a laissé desséché, crouteux et déshydraté comme un tas de sel gemme.

Cette soudaine pluie d’orage arrive à pic.

 

Crapouilleux prend son bain de boue avant de sortir du puisard. Il faut qu’il soit tout frais gluant. Qui sait ? Si d’aventure il croisait une Princesse, sous cette pluie divine ?

D’un bond, il se claque la panse sur la mousse et happe une grosse mouche. Dehors, la pluie roule ses nuages sombres. Les gouttes éclaboussent l’herbe avec vigueur. Crapouilleux aime l’humidité, mais les douches trop fortes abimeraient sa peau fragile et lessiveraient son bain de boue.

Il s’abrite sous le bananier et respire l’odeur grisante des feuilles pourries. Le bananier pousse dans un ancien puits comblé de terre et le sol gorgé d’eau abrite d’innombrables cloportes vivant dans l’humidité croupie des débris végétaux.

Un véritable paradis pour crapaud.

 

Crapouilleux coasse. Le jardin du musée est tranquille à cette heure. Le soleil est tombé de l’autre côté de la terre mais l’agitation règne encore.

La ville se calme autour du jardin. Le bruit des voitures s’atténue, remplacé par le cliquetis des talons sur le bitume du chemin.

 

Crapouilleux aime la mélodie des talons aiguilles. Il connaît le chant du pas de chacune de ses Princesses. Sa préférée, c’est Brunita. Il sent son déhanché à chacune des intonations de ses chaussures. La belle en a usé des talons, mais il reconnaîtrait entre mille ses longues jambes qu’elle sait si bien dénuder.

Il n’a pas manqué une soirée sous le bananier, même pendant la sécheresse. Mais, l’heure n’est pas arrivée.

 

La pluie se fait brume. Crapouilleux décide de faire un tour de parc.

Sous le séquoia géant, la blonde Nadine fait les cent pas. Ses talons s’impriment dans le sol faisant de petits trous d’eau. Celle-ci est gironde, puisqu’elle est blonde. Son short moulant dégage l’appétissant de ses cuisses. Crapouilleux adore voir trembloter ses cuisses en gelée lorsqu’elle arpente le pavé.

Les hommes aussi aiment ça. Ils s’y accrochent comme si leur vie en dépendait, quand ils se secouent avant de la quitter.

– Coâââ Princesse d’amour. Tu me chavire les pustules avec ton moussu[2] débordant.

Chaviré des globuleux[3], notre crapoteux continue son chemin de buisson en buisson. Il aime tant contempler la féérie nocturne, ce ballet érotique qui lui met les sens en émoi.

Jeanneton vient de s’installer. Sa blondeur d’éphèbe en a séduit plus d’un, mais Crapouilleux ne l’apprécie pas.

– Coa, toi ! Pousses toi de ma vue ! Tu as les jambes dures comme le plat d’un battoir et les talonnettes tordues, coa, pouah !

 

Crapouilleux saute de place en place jusqu’au banc de Michelina. C’est une vieille Princesse sur le départ. Elle est malingre des guibolles mais elle ne ferait pas de mal à une mouche. Une chance pour lui, car c’est près d’elle que Crapouilleux en déguste le plus. Elle le laisse manger gentiment, sans l’ennuyer. Elle le regarde, derrière ses lunettes, et elle lui parle, à lui, le crapaud du parc du musée.

Parfois, Michelina lui laisse toucher ses merveilleuses chaussures. Des chaussures sur mesure, et des talons… d’une finesse inestimable. Souvenirs d’une splendeur passée, car ses vêtements trahissent un luxe élimé, et les rares hommes qui l’honorent ne sont pas des plus frais.

Mais ses yeux gris content des cieux lointains, des odeurs musquées, des soleils inconnus qui surprennent en ce jardin où règne la fraicheur.

 

Les cuisses de Crapouilleux le mènent au détour de la fontaine. La végétation y est luxuriante. Les bambous bruissent d’histoires lubriques et les tiges se tiennent la main dans la bruine gouttelant sur les feuillages. Les hautes silhouettes se penchent pour étouffer les cris des femmes et protéger les enlacés furtifs.

Les bruyères frémissent sous les arcs-boutants endiablés. Cantalia est à l’office, les talons plantés dans la mousse, le charnu adossé au marbre de la fontaine. Elle a la musculature d’une déesse. Pas un qui ne lui résiste. Elle les essore en un tournemain et les congédie d’une vigoureuse claque au cul. On la repère à son sourire blanc dans la nuit ombrée, qui éclaire en zébrure sonore, plus fort que les troubles lumignons du parc.

 

Crapouilleux ouvre ses esgourdes creuses. Ce bruit, chuintant, qui effleure le chemin.

Elle arrive !

Les arbres s’inclinent pour saluer la reine des Princesses. Les talons survolent le sol, aériens. Le léger cliquetis tinte comme des clochettes, bling, bling ! Brunita déhanche sous la longue mousseline qui la couvre à peine.

Elle chantonne d’une voix suave comme de la guimauve.

Sa ceinture bling-blingnotte[4] au rythme du développé de ses fesses.

Ce soir, elle a des talons d’argent. Crapouilleux ne saurait dire combien elle a de chaussures. Elle en a des milliers de paires sans doute.

 

Crapouilleux saute, saute, saute vers le bananier.

Dans sa hâte, il n’a pas entendu le pas de l’homme sorti du fourré. Il a fini son affaire et s’attache la braguette sans regarder où il met les pieds.

– Coooooaaaa !

Le pied de l’essoré enterre Crapouilleux dans la mousse. Aplati, il tente un dernier saut et retombe comme une crêpe pas cuite, tout chiffonné.

Sa Vergétitude[5] ne s’attarde pas pour ce nabot de crapaud. Il n’a pas fini sa soirée et le bombé de son pantalon traduit toute la vigueur de sa déesse scabreuse en goguette.

– Coa, coaaa !

Le dos douloureux et les pattes raccourcies, Crapouilleux fait de son mieux pour rejoindre la belle.

Il se traine, diminué, aveuglé par des gouttes poisseuses laissées choir par le rutman.[6] 

Ses paupières, brûlées, lui en tombent et frottent sol. Pauvre Crapouilleux !

Mais, soudain, le ciel vient à son aide ! Mais non, pas la pluie qui effacerait l’horreur de son apparence ! On est dans la réalité, que Diable !

 

Brunita a entendu son coassement de douleur.

Son petit cœur de Lolita frémit devant tant de laideur.

Mais, Brunita sait, que parfois, sous les peaux verruqueuses des crapauds, se nichent, des Princes.

Que faire ? Il n’est vraiment pas beau.

 

N’écoutant que son courage, car nous sommes au siècle de tous les périls, la belle Brunita prend le crapaud dans sa main.

 

Elle le regarde, caresse sa vilaine tête, rêveuse.

Soudain, elle chante, légère.

 

Prendre un crapaud par la main…

Et lui donner un bon bain

Pour être enfin dans le bottin mondain

Prendre un crapaud par la main…

 

Prendre un crapaud comme il vient

Pour lui donner un coup de main

Et se glisser dans sa vie pour le temps

De se r’trouver un copain…

 

N’écoutant donc que son courage, la belle pose ses douces lèvres sur la bouche baveuse de Crapouilleux qui défaille.

 

Et Crapouilleux grossit, grossit, grossit !

Et la belle chavire, chavire, chavire ! sous la peau du crapaud.

Les deux se retrouvent les fesses à l’air, les fesses par terre.

 

La mousseline déchirée, dévoile les appâts de la belle.

Crapouilleux est surpris. D’en bas il voyait moins les défauts de l’âge, mais il ne fera pas le difficile. C’est dit.

 

Ils se regardent.

Il se regarde.

Le poids de Sa Vergétitude doit y être pour quelque chose ? Ce n’est pas possible !

– Un Prince se doit d’être beau, non ?

Brunita éclate de rire.

Crapouilleux rit jaune. Il n’est plus un crapaud. L’homme qu’il voit est nu, car oui, il ne faut pas trop demander aux contes de fées ; les vêtements sont en sus[7]…

 

L’homme qu’il voit est mal fichu, petit, tassé, le nez cassé à tremper dans la soupe.

Les paupières lui tombent sur les joues, tirant les yeux sur les pommettes.

Un bidon ridicule trahit l’insatiable appétit de Crapouilleux pour la vermine.

Un instant, il se demande s’il n’aurait pas mieux fait de rester crapaud. Les mains expertes de la brune le ramènent à de meilleurs sentiments.

 

Laid il était, laid il restera ! Un sursaut lui agite les épaules. Il va falloir s’y faire…

Le monde est à lui, coa ! Et il n’a qu’à bien se tenir !

 

 

Ce conte n’est qu’un conte. Toute ressemblance avec des personnages existants relève de votre subconscient, qu’on se le dise et que point ne médise!

 

Zibelyne le 28 décembre 2011

 

[1] En enlevant le V s’annonce l’avenir

[2] Analogie crapaudine entre buisson et moussu

[3] Ici, les yeux

[4] De Bling bling : nouveau mot donné à l’affichage outrancier de la richesse

[5] Titre honorifique donné aux addicts du sexe

[6] Mot à double langue (fourrée) signifiant homme en rut, quoi ! Origine France/United States

[7] Et non pas « suce » dont on laissera l’usage à Sa Vergétitude